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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Document 4 - Témoignage de Pierre Lemulier sur la famine de 1709

E 1175/4_011709. – Journal de Pierre Lemulier

Témoignage de Pierre Lemulier, avocat, sur la famine de 1709.

Archives départementales de la Côte-d’Or, E 1175-4

Mais il est arrivé l’année 1709, d’où nous sortons une si grande misere et une si grande famine par tout le royaume qu’il est bon que chacun la rapporte dans son journal pour en instruire la posterité et pour luy faire comprendre que tout vient de Dieu et que c’est luy qui nous donne ou qui nous oste et nous prive de nos puissantz besoings quand nous l’avons l’avons merité.E 1175/4_02

J’estois a Paris d’où je partis la veille des roys, qui estoient un sabmedy, jour un peu bruineux et assez doux, mais le lendemain jour des roys, qui estoit un dimenche, il s’elevat un vent et un froid si excessif et si grand que la riviere, de la nuit du lundy au mardy, en fust gelée ce qu’on n’avoit jamais veu en sorte que nous fusmes obligé de prendre des commodités pour nous rendre a Auxere ; j’estois fouré d’une bonne robe de chambre et mon manteau par-dessus, j’avois sur ma perruque un bon bonnet fouré qui se boutonnoit despuis le né jusques soubs le menton et ayant esté obligé de se servir de cariolles ou l’on se mettoit jusques a 4 et ou l’on avoit soing de mettre du foing dans les pannieres pour en enveloper les pieds et les jambes, ma robe de chambre et mon menteau par-dessus, cela fit que je E 1175/4_03supporté le froid jusques a Auxere. Mais a Auxere, icy ayant esté obligé de m’en venir a cheval, je ne puis exprimer l’horreur du froid que je sentis, je fus obligé de descendre a tous les vilages que je trouvé sur mon chemin pour me chauffer et comme j’estois couvert il n’y avoit que despuis le genoul en bas et depuis le né en hault ou je souffrois le martire ; on trouvoit du monde mort sur le chemin et ce fust un miracle estant agé de 68 ans que je pu me rendre chez moy sans aucun danger. Ce froid horrible dura jusques au 23 febvrier, les arbres fruitiers et generalement tous les noyers furent gelés ce qui causa une grande perte [en marge : les vignes furent aussy gelées, il fallu les couper par le pied et on ne fist pas une goute de vin] et par-dessus tout cela, tous les bles semés furent entierement perdus, il ne s’en sauva pas un espit, ce malheur general donna un grand soing aux usuriers pour faire porter le blé a un prix excessif, on en a vendu jusques a 6. 7 et 8 lt le boisseau,E 1175/4_04 l’orge a 4 lt, l’avoine a 3 lt et jamais misere n’a paru si grande parmi les pauvres vignerons et les gens de la campagne et encore parmi les artisans, c’estoient des visages qui fesoient peur et il n’y eust jamais une si grande quantité de pauvres mandiantz et jusques a la moisson, les gens de la campagne ne vescurent que d’herbes.

Et comm’on se flata que le blé pouroit pousser, mons(eigneur) l’intendant fist des deffenses d’y rien semer jusques au 15 apvril, ce qui causa un grand prejudice mais les deffences levées, chacun se pressa, c'est-à-dire les bourgeois et les propriétaires des terres, de faire semer de l’orge aux endroitz ou estoient les bles et de faire semer les terres a E 1175/4_05Caresme. Un grand bonheur est que l’esté n’a point donné une grande chaleur, et si les chaleurs de cet esté avoient esté comme celles des années precedentez, nous aurions eu infailliblement la perte dont Dieu par sa bonté infinie nous a guaranti et le temps qui se feroit a esté si favorable aux menues graines qu’on en a moissonné une tres grande quantité en sorte que du jour que j’escris cecy qui est le 15 febvrier 1710, le blé ne passe pas 3 lt, l’orge ne va qu’a 25 ou 26 s. et l’avoine a 14 s. et les blés qui ont esté semés aux benisons (?) dernieres sont d’une si grande beauté et donnent une si grande esperence que semant de l’orge dans les terres qu’on n’a pu semer de blé dont on manquoit et semant bien les terres a Caresme,E 1175/4_06 il y a lieu d’esperer qu’apres la moisson prochaine, on oublira toute la misere qu’on vient d’essuyer par l’abondante moisson qu’on fera et il fault esperer que le Dieu de misericorde qui a donné la semence pour semer, donnera le pain pour manger. Encore un hyver comme le dernier, le monde finissoit.

Signé Lemulier

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