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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Septembre - Bornage entre les abbayes de Saint-Seine et de Flavigny en 1288, près des sources de la Seine

Au Moyen Âge, les abbayes étaient de grands propriétaires fonciers. C’était le cas des abbayes Saint-Pierre de Flavigny et Saint-Seine de Saint-Seine, aujourd’hui Flavigny-sur-Ozerain et Saint-Seine-l’Abbaye dans le département de la Côte-d’Or. Les fonds de ces deux abbayes conservent un acte identique de 1288 : c’est un accord sur les limites de leurs propriétés contigües. Les bornes qui sont alors plantées sur le terrain, et que l’acte en latin mentionne explicitement ("metas"), existent encore : elles représentent, côté Flavigny, saint Pierre avec sa clef et, côté Saint-Seine, saint Seine sur son âne.

Carte montrant les communes de Flavigny et de Saint-Seine
Carte montrant les communes de Flavigny et de Saint-Seine, et entourant sommairement la zone contestée
(Blessey, Saint-Germain, Bligny-le-Sec, Poncey, Pellerey, Chanceaux)

 

Divagations

Les deux abbayes, distantes de 21 km à vol d’oiseau, avaient une limite commune entre Chanceaux (côté Flavigny), d’une part, et Poncey-sur-l’Ignon et Pellerey (côté Saint-Seine), d’autre part. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les deux abbayes commencent à être excédées par les divagations des habitants des fermes, paroisses ou villages de ce secteur. En effet, ceux-ci avaient pris l’habitude de mener leurs bêtes (bovins, ovins, caprins ou porcins) paître dans les bois (vaine pâture) ou dans les prés (pâturage) et de cultiver des champs sans se préoccuper s’ils étaient ou non sur les terres de l’abbaye dont ils dépendaient !

Carte plus détaillée comprenant la zone contestée
Carte plus détaillée comprenant la zone contestée
(Blessey, Saint-Germain, Bligny-le-Sec, Poncey, Pellerey, Chanceaux)

 

Convention

En 1288, les deux abbayes décidèrent de rédiger une convention pour fixer clairement la limite entre leurs deux propriétés et les droits des habitants. Pour éviter que les habitants ne puissent prétendre les ignorer, des bornes doivent matérialiser sur le terrain cette limite. Deux exemplaires identiques de la convention sont rédigés au nom de chacun des abbés et moines des deux abbayes et de leurs successeurs. Il se trouve qu’en 1288, les deux abbés s’appellent Guillaume : Guillaume II, 50e abbé de Saint-Pierre de Flavigny et Guillaume Ier, 20e abbé connu de Saint-Seine.

Chose peu banale, les deux originaux de cette convention de 1288 rédigée en latin sont actuellement conservés aux Archives départementales de la Côte-d’Or sous les cotes 6 H 248 (archives de l’abbaye Saint-Pierre de Flavigny) et 10 H 75 (archives de l’abbaye de Saint-Seine). Les textes sont presque identiques (à une variante près, indiquée dans la transcription). Les lettres de la première ligne ont reçu la même ornementation géométrique.

Mais, si l’on examine le verso des actes, on s’aperçoit que les archivistes des abbayes n’ont pas mis les même mentions. Au verso de l’acte conservé à Flavigny figure une analyse en latin du XIVe siècle ainsi qu’une analyse en français du XVIIe siècle, ainsi que deux cotes d’archives (8 en chiffre arabe, VII en chiffres romains) ; l’état sanitaire est excellent. Saint-Seine a moins bien conservé son exemplaire : on constate l’existence d’un trou, et le bord gauche du parchemin a été cornée. Deux analyses succinctes en français figurent au verso : l’une, du XVe siècle et la seconde, plus succincte encore, du XVIIIe siècle, avec un n° de cote (5) ; enfin un nombre écrit en français ("cent quatre vingt dix sept"), datable de la fin du XVIIIe siècle, est sans doute un n° d’ordre mis sous la Révolution lors de la saisie des archives et des biens de l’abbaye de Saint-Seine.

Plan des bornes encore présentes sur le terrain
Plan des bornes encore présentes sur le terrain, J. Meissonnier, 2025

 

Bornes

Aujourd’hui, une quarantaine de bornes installées selon la convention de 1288 existent encore sur le terrain ; elles matérialisent la limite entre la commune de Chanceaux et les limites de Poncey-sur-l’Ignon et Lamargelle sur une distance d’environ 4 km. Elles sont en calcaire non gélif, ce qui a contribué à leur bonné conservation. Quatre d’entre elles sont particulièrement spectaculaires par leurs dimensions (environ 1 m de hauteur hors sol, 0,40 m de large et 0,20 m d’épaisseur) et leurs représentations. Sur la face regardant vers l’abbaye de Flavigny, un saint Pierre debout tenant sa clef a été gravé ainsi que son nom S(anctus) PETRUS [Saint Pierre]. Sur la face regardant vers l’abbaye de Saint-Seine, saint Seine chevauchant son âne a été gravé ainsi que son nom S(anctus) SEQVANUS [Saint-Seine]. La représentation de saint Seine a été bûchée sur 3 des 4 bornes. L’une de ces bornes a été classée monument historique en 1971.

ADCO, 9 Fi 21573-13
ADCO, 9 Fi 21573-13
Borne séparant les domaines
des abbayes de Saint-Seine
et de Flavigny, 1288
(Musée archéologique de Dijon),
côté Saint-Seine :
La chevauchée de Saint-Seine,
carte postale (années 1930)
ADCO, 9 Fi 21573-14
ADCO, 9 Fi 21573-14
Borne séparant les domaines
des abbayes de Saint-Seine
et de Flavigny, 1288
(Musée archéologique de Dijon),
côté Flavigny : Saint Pierre,
carte postale (années 1930)

 

Si saint Pierre avec sa clef est une représentation classique, inspirée du chapitre 16 de l’évangile selon saint Mathieu, en revanche la représentation de saint Seine, doublet chrétien de la déesse Sequana, vénérée aux sources de la Seine mentionnée dans l’acte, est moins connue. Cet âne raconte justement déjà une histoire de bornage : pour délimiter le domaine de son monastère, Seine se fit attribuer tout le terrain dont il réussit à faire le tour en une journée au trot de son âne. Mais Louis Réau (Iconographie de l’art chrétien, Paris, 1959, III/3, p. 1200) ignore si la légende vient des bornes de 1288, ou si c’est l’inverse. Ce qui est certain, c’est que l’on trouve, dans l’hagiographie, plusieurs récits de saints fondateurs faisant à dos d’âne, en une journée, le tour du territoire de leur abbaye pour en délimiter les contours. C’est le cas de saint Jean à Réôme (Moutier-Saint-Jean, Côte-d’Or) dans le diplôme de Clovis (forgerie du XIe siècle), de saint Remi à Reims (Marne), dans l’hagiographie que lui consacre Hincmar de Reims au IXe siècle et saint Léonard de Noblat (dans la commune de Haute-Vienne qui porte son nom). Pour saint Seine, disciple de saint Jean de Réôme, pas de source hagiographique, mais une représentation graphique(1). L’épisode ne figure en tous les cas ni dans la Vita ni dans les Miracula de "Sequanus abbas Segestrensis" (Seine abbé de Cestres, devenu Saint-Seine)(2).

 

Les fresques exécutées en 1504 par le frère Parceval de Montarby à l’abbatiale de Saint-Seine, représentant la vie du moine saint Seine, notamment son retrait au désert, son entrée au couvent, la fondation de l’abbaye et les miracles survenus de son vivant ou post-mortem ont été popularisées par la copie qu’en fit, en 1848, Théodore de Jolimont, pour la commission des Antiquités de Côte-d’Or. Ce recueil, coté 69 J 532, montre, en sa 22e fresque, saint Seine sur son âne qui fléchit les antérieurs, avec la légende suivante : "Comme il fit sa requeste a Dieu pour avoir de l’eau, et son ane s’agelougna, et sortit une fontaine".

ADCO, 69J 532
ADCO, 69J 532

 

Les autres bornes sont de deux types : grandes et petites. Les grandes, qui s’apparentent à des piliers, mesurent 1 m ou plus de haut et entre 0,30 et 0,50 m de largeur et d’épaisseur. Probablement d’époque médiévale, elles portent simplement P(etrus) [Pierre] du côté de l’abbaye de Flavigny et S(equanus) [Seine] du côté de celle de Saint-Seine. Les plus petites bornes, d’époque moderne ou contemporaine ( ?), portent dans certains cas un R, probablement pour Réserve, et sans doute pour marquer le quart en réserve qui eut lieu en 1756 pour les bois de Saint-Seine.

À la fin du XIXe siècle, une borne en bon état avec la représentation et le nom des saints patrons de chacune des deux abbayes qui se trouvait tout près de la source de la Seine, a été donnée à la Commission archéologique du département de la Côte-d’Or pour son musée. Elle est actuellement présentée dans la salle gothique du Musée archéologique de Dijon.

Le département de la Côte-d’Or comporte une grande superficie forestière. En différents endroits de ces forêts, il existe encore des bornes armoriées qui ont été posées avant la Révolution pour marquer les limites des propriétés royales, abbatiales et nobiliaires. Mais celles qui furent posées à la suite de la convention de 1288 sont sans conteste les plus spectaculaires par leurs dimensions, leurs représentations et leur datation précise grâce aux deux exemplaires de la convention conservés aux Archives départementales de la Côte-d’Or. Entre St-Germain-Source-Seine et Lamargelle, soit une douzaine de kilomètres, c’est entre Chanceaux et Lamargelle qu’elles sont les plus nombreuses puisqu’une borne a été posée à chaque changement d’orientation de la limite entre les deux abbayes, devenue limite communale, ce qui fait que la distance entre deux bornes varie entre une vingtaine et une centaine de mètres.

Les bornes in situ, 1993, fonds Gabriel Grémaud, 194 J 26 Les bornes in situ, 1993, fonds Gabriel Grémaud, 194 J 26
Les bornes in situ, 1993, fonds Gabriel Grémaud, 194 J 26

 

Depuis lors, ces bornes sont régulièrement étudiées et mentionnées, y compris dans la littérature administrative, comme le montre le texte de l’enquête publique sur "l’extension du site classé des Sources de la Seine" en février 2016, alors pilotée par la DREL de Bourgogne-Franche-Comté(3).

Les archives fourmillent de mention de bornes, entre le XIIIe et le XXe siècles : procès-verbaux de plantation ou de reconnaissance de bornes ; adjudication ou fourniture de bornes "finagères" ; protestations contre des plantations de bornes ; litiges sur des bornes déplacées, enlevées, dégradées, détruites ou arrachées, qui sont alors replacées, replantées ou remplacées ; localisation des bornes sur les plans ; plantations de fausses bornes ou de bornes sans autorisation. Le nom commun de borne est parfois devenu le toponyme de Borne, désignant un bois, un pré, un champ.

 

 

Enquête publique sur l'extension du site classé des Sources de la Seine, 2016

 

ADCO, 6 H 248
ADCO, 6 H 248
Charte de 1288 conservée dans le fonds d’archives de l’abbaye Saint-Pierre de Flavigny)

 

Transcription

In nomine Domini amen. Nos frater Guillermus Dei permissione monasterii Flavigniacensis, Eduensis dyocesis, et nos frater Guillermus eadem permissione monasterii Sancti Sequani, Lingonensis dyocesis, abbates humiles, totique predictorum monasteriorum conventus. Notum facimus universis presentes litteras inspecturis quod cum olim orta esset materia questionis inter nos predictos abbatem et conventum Flavigniacenses, ex una parte, et nos predictos abbatem et conventum Sancti Sequani, ex altera, super divisione territoriorum terrarum nostrarum, tam planorum quam nemorum, villarum et finagiorum de Cancellis, et Sancti Germani ad nos predictos abbatem et conventum Flavigniacenses pertinencium, atque villarum de Ponceio, de Pelereyo et de Beligneo et territoriorum dictarum villarum ad nos predictos abbatem et conventum Sancti Sequani pertinencium. Iterum super eo quod nos predicti abbas et conventus Flavigniacenses, necnon et homines nostri de Sancto Germano, dicebamus et contendebamus ipsos homines habere ius pasturandi et vanam pasturam et agricolendi in terra Sancti Sequani, in finagiis et territoriis antedictis, et precipue in nemore dicto Byafeis. Nobis abbate et conventu Sancti Sequani contrarium asserentibus et negantibus premissa totaliter esse vera. Tandem cum super premissis fuisset diutius atercatum predicta questio, dissensio et discordia in modum qui sequitur communi consensu omnium nostrum predictorum abbatum et conventuum terminate sunt et sopite. Videlicet quod homines de Sancto Germano pro suis animalibus ad vanam pasturam pasturandis tantummodo et non agricolendi habebunt usagium in terra Sancti Sequani in finagiis de Ponceyo et de Pelereyo predictis in planis usque ad fagum dictum Poillous versus Ponceium, et a dicto fago secundum quod strata publica ostendit usque ad locum dictum A la Maladerote, et a dicto loco usque cornu de Byafeis et in nemore predicto de Byafeis ex parte Sancti Germani usque ad viam publicam dictam Dou Pendant per quam itur a Cancellis apud Beligneum. Et similiter homines de Ponceio et de Pelereyo habebunt vane pasture usagium in finagio Sancti Germani usque ad ulmum Des Ages versus Sanctum Germanum descendendo directe usque ad ultimam metam versus Cancellos sitam in valle Secane et usque ad finagium de Blace. Et si forte dicti homines de Sancto Germano dictas metas excederent vel infra fines predictos alias uterentur quam ad vanam pasturam, ut dictum est, ad emendam pro qualitate delicti tenebuntur nobis abbati et conventui Sancti Sequani predictis quantum consuetudo Burgundie suadebit. Et idem erit de hominibus de Ponceyo et de Pelereyo : si in finagio Sancti Germani alias uterentur quam ad vanam pasturam, ut superius continetur, videlicet quod tenerentur ad emendam predictam nobis abbati et conventui Flavigniacensibus supradictis. Si quid autem in dictis planis et nemoribus terre Sancti Sequani nobis predictis abbati et conventui Flavigniacensibus et hominibus Sancti Germani ulterius competebat aut competere poterat, nos predictis abbati et conventui Sancti Sequani remittimus totaliter et quitamus et hominibus predictis de Ponceio et de Pelereyo usagium predictum pasturandi in finagio Sancti Germani, ut supra scriptum est, concedimus et donamus. Nos vero predicti abbas et conventus Sancti Sequani predictum usagium pasturandi et vanam pasturam modo predicto dictis hominibus Sancti Germani et eorum successoribus, ex causa compositionis predicte, concedimus et donamus. Preterea nos predicti abbates et conventus volumus et consentimus expresse quod homines de Cancellis, de Ponceio et de Pelereyo usagia pasturandi et agricolendi inter se vicissim retineant et usagium pasturarum et agriculturarum illis remaneat semper salvum, sicuti habebant et erat ante confectionem presentium litterarum. Et est sciendum quod nos abbates et conventus predicti terras atque villas nostras predictas et terragia seu territoria dictarum villarum limitari et determinari fecimus per appositiones metarum secundum quod inferius continetur : in primis mete sunt apposite in coma dicta Al Verreglaz(4) descendendo usque ad fontem Secane, ipso fonte a parte et in territorio et finagio Sancti Sequani et iusticia remanente. Item a fonte predicto usque ad collem dictum Dou Cepoi et per totum collem illum Dou Cepoi usque ad comam Morillon, et a coma Morillon usque ad viam dictam Larrenasse. Item ab illa via usque ad Campum rotundum, et a Campo rotundo usque supra Les Cheneveres. Item a Cheneveriis per locum dictum Pierresot usque Es Chafas. Item per locum des Chafas mete sunt apposite usque ad metam dividentem nemora conversorum, que meta sita est supra vallem dictam Valengote. Et est sciendum quod terre arabiles et nemora, que a parte Beligneii, Ponceii et Pelereii et Sancti Sequani infra metas antedictas continentur, ad ecclesiam Sancti Sequani pertinent et pertinere debent et imperpetuum pertinebunt, cum iusticia et iuridictione omnimoda magna et parva et omnibus aliis quibuscumque. Omnia vero et singula que ex parte altera infra metas predictas versus Cancellos et Sanctum Germanum continentur in terris, nemoribus et rebus aliis quibuscumque, cum iusticia et iuridictione omnimoda magna et parva, ad eclesiam Flavigniacensem insolidum imperpetuum pertinebunt. Si quid autem nobis abbatibus predictis et conventibus et monasteriis nostris antedictis ulterius competebat aut competere poterat ultra quam dictet presens littera, aut importet metarum appositio predictarum, illud alter alteri totaliter remittimus et quitamus. Hanc autem compositionem et omnia et singula supradicta promittimus nos predicti abbates et conventus bona fide et sub voto religionis nostre pro nobis et nostris successoribus attendere ac imperpetuum inviolabiliter observare ; et contra per nos vel per alium, facto vel verbo, in iudicio vel extra iudicium, aliquatenus decetero nos venire tacite vel expresse, nec contra ire volenti in aliquo consentire. Renunciantes nos predicti abbates et conventus in hoc facto ex certa sciencia, bona fide et sub voto religionis nostre, omni actioni et exceptioni doli et in factum ; exceptioni dictarum metarum legitime et de consensu et mandato omnium nostrum predictorum abbatum et conventuum non appositarum ; beneficio restitucionis in integrum ; omni lesioni, deceptioni et circonvencioni ; omni statuto regulari, juri dicenti prelatum condicionem ecclesie sue meliorem posse facere, deteriorem vero facere non posse ; omnibus litteris, graciis, privilegiis et indulgenciis sub quacumque forma verborum a sede apostolica impetratis et impetrandis ; omnibus rationibus, exceptionibus, allegationibus et deffensionibus iuris et facti que contra presens instrumentum aut contra predicta vel aliqua de predictis possent obici, seu dici ; juri dicenti generalem renunciationem non valere; et omni iuri canonico et civili. In quorum omnium robur et testimonium, nos predicti abbates et conventus sigilla nostra presentibus literis duximus apponenda. Datum mense decembris, anno Domini millesimo ducentesimo octogesimo octavo.

 

ADCO, 10 H 75
ADCO, 10 H 75
Charte de 1288 conservée dans le fonds d’archives de l’abbaye de Saint-Seine

Traduction

Au nom du Seigneur amen. Nous, frère Guillaume, par la permission de Dieu, humble abbé du monastère de Flavigny (au diocèse d’Autun) et nous frère Guillaume, aussi par la permission de Dieu, humble abbé du monastère de Saint-Seine (au diocèse de Langres), et l’ensemble du couvent(5) des susdits monastères, faisons savoir à tous ceux qui ces présentes lettres verront que, comme jadis était née matière à question(6) entre nous, susdits abbé et couvent de Flavigny, d’une part, et nous susdits abbé et couvent de Saint-Seine, d’autre part, au sujet de la délimitation des territoires de nos terres, tant des plaines que des bois, villages et finages de Chanceaux et de Saint-Germain(7), appartenant à nous susdits abbé et couvent de Flavigny, et des villages de Poncey(8), Pellerey et de Bligny(9) et des territoires desdits villages, appartenant à nous susdits abbé et couvent de Saint-Seine. De nouveau sur le fait que nous susdits abbé et couvent de Flavigny, ainsi que nos hommes de Saint-Germain, nous disions et prétendions que ces hommes avaient le droit de pâturage, de vaine pâture et de culture en la terre de Saint-Seine dans les finages et territoires susdits, et en particulier dans le bois dit Beau Fays(10). Nous, abbé et couvent de Saint-Seine affirmions le contraire et niions que les choses susdites fussent totalement vraies. Finalement, après un long débat à ce sujet, la question, dissension et discorde furent terminées et apaisées de la manière qui s’ensuit par le consentement commun de nous tous, abbés et couvents susdits : les hommes de Saint-Germain auront l’usage, pour le pâturage de leurs animaux, en vaine pâture seulement, non pour la culture, dans la terre de Saint-Seine dans les susdits finages de Poncey et de Pellerey, en plaine, jusqu’au hêtre dit "Poillous"(11) vers Poncey, et dudit hêtre selon que la route publique tend jusqu’au lieu-dit "A la Maladerote"(12), et depuis ledit lieu jusqu’à la corne de Beau Fays et dans le susdit bois de Beau Fays du côté de Saint-Germain jusqu’à ladite voie publique dite "Dou pendant" par laquelle on va de Chanceaux à Bligny(13). Et pareillement les hommes de Poncey et de Pellerey auront l’usage de la vaine pâture dans le finage de Saint-Germain jusqu’à l’orme "Des Ages"(14) vers Saint-Germain, en descendant directement jusqu’à la dernière borne située vers Chanceaux, dans la vallée de la Seine, et jusqu’au finage de Blessey(15). Et si d’aventure lesdits hommes de Saint-Germain dépassaient ces bornes ou bien en faisaient un autre usage, dans les limites susdites, que pour la vaine pâture, comme dit est, ils seront tenus de payer, à proportion de leur délit, à nous abbé et couvent de Saint-Seine, comme l’indiquera la coutume de Bourgogne. Et il en sera de même pour les hommes de Poncey et Pellerey. Si dans le finage de Saint-Germain ils en font un autre usage que la vaine pâture, comme il est indiqué ci-dessus, ils seront tenus à la susdite amende envers nous abbé et couvent de Flavigny susdits. Mais si quelque chose dans lesdites plaines et bois de la terre de Saint-Seine appartenait ou pouvait appartenir à nous susdits abbé et couvent de Flavigny et aux hommes de Saint-Germain ultérieurement, nous remettons totalement et quittons aux susdits abbé et couvent de Saint-Seine, et nous concédons et donnons aux susdits hommes de Poncey et de Pellerey l’usage susdit de pâturage dans le finage de Saint-Germain, comme écrit ci-dessus. Quant à nous, susdits abbé et couvent de Saint-Seine, concédons et donnons l’usage susdit de pâturage et la vaine pâture de la manière susdite, auxdits hommes de Saint-Germain et à leurs successeurs en vertu de la composition susdite. De plus, nous, susdits abbés et couvents voulons et consentons expressément que les hommes de Chanceaux, Poncey et Pellerey maintiennent les usages de pâture et de culture entre eux réciproquement et que l’usage de la pâture et de la culture leur restent toujours sauf comme ils l’avaient et comme il était avant la confection des présentes lettres. Et il faut savoir que nous abbés et couvents avons fait limiter et déterminer nos terres et villages susdits, ainsi que les terrains ou territoires desdits villages, par l’apposition de bornes selon ce qui est contenu ci-après. En premier lieu ont été apposées dans la combe au Verglaz(16) en descendant jusqu’à la source de la Seine, ladite source demeurant du côté du territoire, finage et justice de Saint-Seine. De même, depuis la source susdite jusqu’à la colline dite du Soupois, et à travers toute cette colline du Soupois(17) jusqu’à la combe Morillon, et depuis la combe Morillon jusqu’à la voie dite Larrenasse(18). De même depuis cette voie jusqu’à Charmeronde(19). Et de Charmeronde jusqu’au-dessus des Chènevières(20). De même depuis les Chenevières par le lieu dit Porsot(21) jusqu’aux Chafauds(22). De même à travers le lieu des Chafauds sont apposées des bornes jusqu’à la borne divisant les bois des convers ; laquelle borne est située au-dessus de la vallée dite Valengoutte(23). Et il faut savoir que les terres arables et les bois sont qui du côté de Bligny, Poncey, Pellerey et Saint-Seine sont contenus à l’intérieur desdites bornes appartiennent et doivent appartenir à l’église de Saint-Seine, et lui appartiendront à perpétuité avec la justice et toute la juridiction, haute et basse, et toute ce qui en découle. Mais toutes et chacune des choses contenues de l’autre côté, à l’intérieur des bornes susdites vers Chanceaux et Saint-Germain, que ce soit des terres, des bois et toute autre chose, avec la justice et juridiction, haute et basse, appartiendront solidairement à perpétuité à l’église de Flavigny. Et si quelque chose appartenait ou pouvait appartenir à nous abbés susdits et couvents et monastères susdits, au-delà de ce que prévoirait la présente lettre ou introduirait l’apposition des susdites bornes, nous la remettons et la quittons l’un à l’autre totalement. Nous, susdits abbés et couvents, promettons de respecter cet accord et toutes et chacune des choses susdites, de bonne foi et sous le vœu de notre religion pour nous et nos successeurs ; de l’observer inviolablement à perpétuité, et dorénavant de ne venir en aucune manière en opposition ni par nous ni par autrui, ni de fait ni en paroles, de manière ni judiciaire ni extrajudiciaire, ni tacitement ni expressément, et de ne pas consentir à ce que quelqu’un aille contre lui. Et nous, susdits abbés et couvents, renonçons dans ce fait, de notre science certaine, de bonne foi et sous le vœu de notre religion : à toute action et exception de dol et dans le fait ; à l’exception des bornes qui n’auraient pas été apposées légitimement, de l’accord et mandat de nous tous, susdits abbés et couvents ; au bénéfice de la restitution dans son intégrité ; à toute lésion, déception, tromperie; à tout statut régulier ; au droit disant qu’un prélat peut améliorer la condition de son église, mais qu’il ne peut la détériorer ; à toutes lettres, grâces, privilèges et indulgence de quelque forme verbale qu’ils soient, demandées ou à demander au Siège apostolique ; à toutes raisons, exceptions, allégations et défense, de droit ou de fait, qui puissent être opposés ou dits contre le présent acte ou à quelques uns des éléments susdits ; au droit disant que la renonciation générale est sans valeur ; et à tout droit canonique et civile. En validation et témoignage de tout ceci, nous susdits abbés et couvents avons fait apposer nos sceaux aux présentes lettres. Donné au mois de décembre, l’an du Seigneur 1288.

 

Sources

  • 6 H 248 : charte de 1288 conservée dans le fonds d’archives de l’abbaye Saint-Pierre de Flavigny)
  • 10 H 75 : charte de 1288 conservée dans le fonds d’archives de l’abbaye de Saint-Seine.
  • 69 J 532 : relevé par Théodore de Jolimont des fresques de la vie de Saint-Seine peintes dans l’abbatiale en 1504 par le frère Parceval de Montarby (1848)
  • 194 J 26 : dossier documentaire et iconographique réuni sur les bornes de 1288 par Gabriel Grémaud dans le 3e quart du XXe siècle
  • 1 F 213-2 : copie des chartes de 1288 dans le Cartulaire manuscrit de l’abbaye de Flavigny, volume 2 : 1251-1399 (XIXe siècle), ADCO, 1 F 213-2, f. 159-168 [images 327-345] (chacun des deux exemplaires est transcrit). Images en ligne sur https://portail.biblissima.fr/en/ark:/43093/mdata4c5eb1fa1cf908f00456b1b3942d3fad0d84a9a2

 

Bibliographie

A. FETU, "Rapport sur les bornes délimitant le territoire de l’ancienne terre abbatiale de Saint-Seine", Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, 13 (1895-1900), p. 5-7. 

Corpus des inscriptions de la France médiévale, 20, n° 59 (notice de la borne conservée au Musée archéologique de Dijon), Côte-d’Or, Paris, CNRS Éditions, 1999, p. 3-157.

M. JANNET-VALLAT, F. JOUBERT, Sculpture médiévale en Bourgogne : collection lapidaire du Musée archéologique de Dijon, Dijon, EUD, 2000, p. 78-79 (n° 12 "Borne délimitant les territoires des anciennes abbayes de Saint-Seine-l’Abbaye et de Flavigny").

A. COUTIER, M. MANGIN, "Sur les pas de Saint-Seine, les bornages médiévaux autour des Sources de la Seine", Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, 40 (2002-2004), p. 97-132, en particulier p. 109-114 et figures 28 à 37.

 

Annotations

  1. Eliana Magnani. "Hagiographie et diplomatique dans le monachisme réformé en Bourgogne au miroir du manuscrit 1 de Semur-en-Auxois", dans Marie-Céline Isaïa, Thomas Granier. Normes et hagiographie dans l’Occident latin (VIe-XVIe siècle). Actes du colloque international de Lyon, 4-6 octobre 2010, 9, Brepols, pp.183-195, 2014, Hagiologia, 978-2-503-54835-7. halshs-01097486, p. 6-7
  2. http://www.cbma-project.eu/editions/textes-hagiographiques.html#S
  3. "Le long du sentier suivant le talweg de la combe des Arnauts, s’égrène une série de bornes gravées qui jalonnent les limites disputées entre les abbayes de Saint Seine et de Flavigny. Ces bornes peuvent avoir survécu jusqu’à aujourd’hui sans être remplacées depuis leur pose en 1288, date de l’accord de bornage entre les abbés Guillaume II, abbé de Flavigny et Guillaume Ier, abbé de Saint Seine.", in https://www.bourgogne-franche-comte.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/SOURCES-SEINE-DP_cle1911dc.pdf
  4. Al Verreglez dans le 6 H 259
  5. C’est-à-dire l’ensemble des moines du monastère
  6. Litige
  7. Saint-Germain-Source-Seine ; depuis 2009 : commune de Source-Seine
  8. Poncey-sur-l’Ignon
  9. Bligny-le-Sec
  10. C’est-à-dire Beau hêtre. Ce bois est à cheval sur les communes de Saint-Germain-Source-Seine (depuis 2009 : commune de Source-Seine) et de Bligny-le-Sec
  11. Hêtre poilu, évidemment plus éphémère qu’une borne de pierre...
  12. Sans doute La Maladière, hameau de Saint-Seine, à 500 m à vol d’oiseau à l’Ouest-Nord-Ouest du bourg de Saint-Seine
  13. Sans doute la D 671
  14. Orme, évidemment plus éphémère qu’une borne de pierre...
  15. Depuis 2009 : commune de Source-Seine
  16. Sans doute les Vergerots, ferme ou hameau de Poncey, tout près de la source de la Seine
  17. Le bois du Petit Soupois occupe une colline à l’est de Saint-Germain-Source-Seine et "collem illum dou cepoi" doit être le point haut de la route D 6 / GR 2 que domine le Petit Soupois et qui relie Saint-Germain-Source-Seine à Pellerey.
  18. Via latronicea, c’est-à-dire voie aux Larrons, qui rejoint Autun à Langres, en passant, dans la région qui nous intéresse ici, par Verrey-sous-Salmaise, Saint-Jean-de-Bonnevaux, les Vergerots puis Léry
  19. Au nord des Chnevières, dans la commune de Chanceaux
  20. Le bois Les Chenevières borde la limite communale de Chanceaux avec Poncey et Pellerey, qui est toujours matérialisée par les bornes
  21. Le Porsot est le nom d’un bois voisin de la forêt communale de Poncey, légèrement à l’est de la ligne des bornes
  22. Le bois des Chafauds, sur la commune de Lamargelle et à 3 km à vol d’oiseau du bourg, est en bordure de la limite communale de Poncey, légèrement à l’est de la ligne des bornes
  23. La combe de Valengoutte part du bourg de Lamargelle en direction du nord-ouest ; elle est en partie bordée par la route D 901 de Lamargelle à Aignay-le-Duc.

 

Édouard Bouyé (Archives départementales de la Côte-d’Or) & Jacques Meissonnier (Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon)

 

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