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Archives départementales de la Côte-d'Or

Les Archives départementales seront fermées les mercredi 8, jeudi 9 et vendredi 10 mai 2024. Réouverture au public le lundi 13 mai à 8h30.

 


ADCO, 2304 W 308

 

En Côte-d’Or, ce sont environ 70 familles de supplétifs algériens qui, trouvant refuge en France, furent installées tant bien que mal dans les hameaux de forestage de Baigneux-les-Juifs, Is-sur-Tille et Vanvey-sur-Ource et dans le hameau de travail à la gare de triage de Gevrey-Chambertin entre 1962 et 1964. Dans le cadre du 60ème anniversaire de cet événement, plusieurs actions mémorielles seront menées à l’automne dans les communes concernées par les associations de harkis. La documentation conservée par les Archives départementales pourra être utilisée par les descendants et les chercheurs souhaitant approfondir leur connaissance de l’histoire. Elle permettra aussi de donner corps à la mémoire des « privations », de « l’exclusion » et des « préjudices » cités par le législateur et confirmés par les sources côte-d'oriennes.

 

L’arrivée des familles harkis en métropole, l’accueil dans le camp de Rivesaltes

Entre la signature des accords d’Évian (18 mars 1962) et la reconnaissance de l’indépendance algérienne par le gouvernement français (3 juillet 1962), les anciens harkis, supplétifs de l’armée française, voient leur vie menacée sur le sol algérien. Une partie d’entre eux quitte le territoire algérien pour la France. Plusieurs camps militaires de transit et de reclassement s’ouvrent à partir de mai 1962. Avant leur transfert dans les camps de forestage de la Côte-d’Or, les anciens harkis et leurs familles ont transité par le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales (ouvert de septembre 1962 à décembre 1964). Face à la promiscuité et aux difficultés sanitaires dues à l’afflux des anciens harkis, le ministère délégué en charge des rapatriés demande au préfet de la Côte-d’Or d’installer des chantiers de forestage “le plus rapidement possible, de manière à dégager le camp de Rivesaltes et à donner aux harkis, au plus tôt, un travail rémunéré et un toît familial” (29 octobre 1962).

 

1831 W 2
ADCO, 1831 W 2, Circulaire du ministre chargé des Rapatriés aux préfets (29 octobre 1962).

 

 

Projet des hameaux de forestage en Côte-d'Or

Dès le mois de juin 1962, la section de Dijon de l’administration des Eaux et forêts (la 18e conservation, regroupant les départements de la Côted’Or et de la Saône-et-Loire), rédige un premier projet faisant apparaître 8 chantiers de forestage (dont 7 en Côte-d’Or) qui permettraient de faire travailler environ 175 anciens harkis. Malgré ses recherches, le conservateur des Eaux et Forêts indique qu’il n’a pas encore été trouvé de solution de logements auprès des municipalités alentours. La solution envisagée est celle de la construction de baraquements en bois “à proximité des lieux de travail, de points d’eau, et éventuellement de l’électricité”.

1831 W 2

1831 W 2
ADCO, 1831 W 2, Note du conservateur des Eaux et Forêts à son directeur général
sur les lieux possibles d'emploi des harkis en Côte-d'Or (12 juin 1962)

 

Les trois chantiers de forestage en Côte-d’Or

Finalement ce sont trois chantiers de forestage seulement qui vont s’ouvrir en Côte-d’Or. Ce qui est tout de même très exceptionnel pour l’est de la France car la plupart des hameaux choisis sont situés dans le sud-est. Les chantiers vont être gérés par l’administration des Eaux et Forêts, qui devient en 1966 l’Offi ce national des forêts (ONF). L’administration va employer les hommes à des travaux importants de reboisement, d’aménagements des forêts domaniales et de constructions de routes.

 

Le hameau de Vanvey-sur-Ource

Le premier hameau à accueillir des familles de harkis est celui situé sur la commune de Vanvey-sur-Ource. Les premiers anciens harkis, 11 hommes, arrivent le 24 octobre 1962. Face aux conditions climatiques diffi ciles, ils sont d’abord logés dans un local mis à disposition par un industriel de Vanvey-sur-Ource. Ce sont ces hommes qui vont construire ensuite leurs baraquements pour permettre d’accueillir leurs familles.

L'installation à Vanvey à l'automne 1962 : note de l'ingénieur des Eaux et Forêts, article du Bien Public et plan d'un baraquement.

 

 

2304 W 308
ADCO, 2304 W 308

 


Gros cylindre qui avait été affecté aux harkis de Vanvey-sur-Ource pour les routes forestières;
aujourd'hui conservé au Centre de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA); La Barotte à Châtllon-sur-Seine.

 

Le hameau de Baigneux-les-Juifs

Après plusieurs échecs de projets d’implantations dans la région de Montbard, le choix se porte sur la région de Baigneux-les-Juifs. Baigneux-les-Juifs est idéal de par la proximité avec les forêts domaniales de Duesme et Jugny notamment. Un autre point positif, noté par l’ingénieur des Eaux et Forêts, est le fait que Baigneux-les-Juifs est le siège d’une gendarmerie neuve “ce qui permet de contrôler les harkis et de prendre toutes mesures utiles afi n de garantir leur sécurité”. L’arrivée des premières familles a lieu le 5 décembre 1963.

2337 W 3
ADCO, 2337 W 3, Note de l'ingénieur des Eaux et Forêts à son conservateur
sur l'implantation d'un chantier de harkis à Baigneux-les-Juifs (15 novembre 1962).

 

PER 160/205
ADCO, PER 160/205, Humour involontaire (?) du Bien Public (6 décembre 1963).

 

Le hameau d’Is-sur-Tille

C’est le dernier hameau à accueillir des anciens harkis. Ils arrivent le 19 février 1964. 22 familles : 22 hommes, 22 femmes et 65 enfants s’installent au nord de la ville sur la route de Châtillon-sur-Seine. La note des Renseignements généraux indique que “la population Issoisse n’a manifesté aucune objection quant à l’implantation de ces nouveaux habitants”.

1193 W 124
ADCO, 1193 W 124, Note des Renseignements généraux sur l'installation d'un village harki à Is-sur-Tille (21 février 1964).

 


Baraquements d'Is-sur-Tille vendus par la commune dans les années 1970 à la commune de Foncegrive,
aujourd'hui transformés en quillier (pistes pour jeux de quilles) (Photographie Farida Hamandia).

 

Organisation du travail et vie dans les hameaux

La vie dans les hameaux s’organise de façon quasi-militaire. Un sous-officier est chargé de gérer la vie quotidienne du hameau. Ce sous-officier est aussi nommé “chef du hameau”.

2337 W 3
ADCO, 2337 W 3, Consignes du ministre chargé des Rapatriés sur les attributions des chefs de hameaux (4 décembre 1962).

 

Une monitrice (ou assistante sociale) est toujours également présente dans le hameau. Elle sert de relais entre les harkis et les différentes administrations (préfecture, communes, ministère des rapatriés...).

2304 W 309
ADCO, 2304 W 309, Lettre de demandes adressée au Sous-préfet
par le président de l'Association des anciens combattants musulmans (20 mai 1968).

 

Le chiffre de 2400 personnes paraît élevé mais comprend l’ensemble des personnes, anciens harkis (avec leurs femmes et leurs enfants) ainsi que tous les employés divers chargés de l’organisation et du travail dans les camps. La population réelle vivant dans les hameaux était plutôt de l’ordre de 100 à 150 personnes suivant les périodes.

Un règlement de travail, à partir du 25 mars 1964, doit être signé par chaque travailleur, le chef du hameau et le forestier de l'administration des eaux et des Forêts. Ce règlement est également affiché dans le hameau.

 

2337 W 6
ADCO, 2337 W 6, Règlement du travail dans les hameaux forestiers dépendant de la 18ème conservation (25 mars 1964).

 

W 23742
ADCO, W 23742, Lettre de l'inspecteur d'Académie de Dijon au préfet de la Côte-d'Or
sur l'accueil dans l'école de Vanvey-sur-Ource des enfants du hameau forestier de la commune (12 novembre 1962).

 

Les enfants vivant dans les hameaux sont quant à eux rapidement scolarisés dans les communes voisines pour permettre l'apprentissage de la langue française et une assimilation plus rapide des familles. Des cours spécifiques pour les femmes sont envisagés également dès 1962.

Un bilan des réalisations des différents groupes d’anciens harkis est dressé en 1968 de la création des hameaux en 1962 jusqu’au 31 décembre 1967. Celui-ci révèle l’importance des travaux réalisés dans les hameaux : - à Vanvey-sur-Ource, le travail a été eff ectué uniquement dans la forêt domaniale de Châtillon-sur-Seine avec la construction d’une route forestière sur 1,8 km, l’empierrement de multiples routes sur un total de 52,5 km et l’enrésinement (remplacement de feuillus par des résineux) sur 34 hectares ; - à Baigneux-les-Juifs et Is-sur-Tille, le travail a été disséminé sur plusieurs forêts domaniales (Moloy, Duesme, Rochefort, Flavigny et Val-Suzon) avec la construction de routes forestières sur plus de 20 km et l’enrésinement sur 132 hectares.

 

2337 W 6
ADCO, 2337 W 6, Bilan des réalisations des chantiers harkis en Côte-d'Or et en Saône-et-Loire (1er mars 1968).

 

2337 W 6
ADCO, 2337 W 6

 

Fermeture

En vue de la fermeture du hameau de Vanvey-sur-Ource, entre décembre 1969 et janvier 1970, les dernières familles présentes déménagent dans les deux autres hameaux de Côte-d'Or. À partir de septembre 1971, un transfert des derniers travailleurs présents dans les camps de Baigneux-les-Juifs et d’Is-sur-Tille pour le sud de la France est imposé (aux travailleurs volontaires) sur décision du Ministère de l’agriculture (dès mai 1971). Sept familles ne souhaiteront pas partir. Ces transferts entraînent la fermeture progressive des deux camps. En octobre 1971, il reste 11 anciens harkis au camp de Baigneux-les-Juifs.

 

2337 W 8
ADCO, 2337 W 8

 


Cartes réalisées par la Direction territoriale Bourgogne-Franche-Comté de l'ONF en 2023
à partir des comptes rendus de travaux conservés aux Archives départementales (2337 W).
Elles représentent les travaux réalisés par les harkis pour les hameaux
de Baigneux-les-Juifs (Forêts du Grand Jailly, de Duesme et de Flavigny) et d'Is-sur-Tille (Forêts de Moloy et de Val Suzon).

 

 

2337 W 35
ADCO, 2337 W 35, Etat mensuel d'emploi des "ex-harkis" du groupe de Baigneux-les-Juifs (octobre 1971).

 

1193 W 124
ADCO, 1193 W 124, Note au préfet de l'inspecteur du service d'accueil et de reclassement
des Françaos musulmans sur le hameau S.N.C.F de Gevrey-Chambertin (18 février 1962).

 

Un autre camp de travail, géré par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) s’installe à Gevrey-Chambertin à la gare de triage. Le 12 février 1964, 14 chefs de famille et 6 célibataires arrivent au camp. Les familles arrivent quelques jours après, le 25 février. Au total, 18 familles (75 personnes) et 21 célibataires vont occuper les 4 bâtiments construits à cet eff et par la SNCF et le ministère des rapatriés. Le 15 mai 2023, le gouvernement a élargi la liste des structures pouvant donner droit à réparation en y ajoutant 45 nouvelles structures. En Côte-d’Or, le gouvernement a ajouté aux trois hameaux de Vanvey-sur-Ource, Baigneuxles-Juifs et Is-sur-Tille le site suivant : «Gevrey-Chambertin : logements SONACOTRA-SNCF (Côte-d’Or)».

 

1193 W 124
ADCO, 1193 W 124, Note des Renseignements généraux
sur l'arrivée des harkis au hameau S.N.C.F de Gevrey-Chambertin (27 février 1964).

 

> Pour aller plus loin : l'état des fonds d'archives pour faire l'histoire des harkis en Côte-d'Or

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