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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Mars - La machine à décapiter et le bourreau (1792-1794)

C’est une drôle de fiche de poste que publie le Département le 19 août 1794 : il recrute, dans un délai de deux semaines, un « exécuteur des jugemens criminels » !
Pour manier la « machine à décapiter » introduite par une loi promulguée par Louis XVI en mars 1792, le candidat devra se munir d’un « certificat de civisme » et d’un « certificat de complexion robuste ». Il s’agit de trouver un bon Républicain dont ni le cœur ni les bras ne vacilleront lorsqu’il passera les condamnés à mort au rasoir national…

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Humaniser et uniformiser la peine de mort

 

C’est Louis XVI, devenu « Roi des Français », qui, le 25 mars 1792, donne force de loi au décret de l’Assemblée nationale du 20 mars précédent, relatif « à la peine de mort & au mode d’exécution qui sera suivi à l’avenir ». Il s’agit de rendre la peine de mort « la moins douloureuse possible dans son exécution » et « uniforme dans tout le royaume ». L’Académie de chirurgie a été consultée sur la « manière et le mode » à adopter pour « trancher la tête » des condamnés, sans que le supplice ne devienne « horrible pour le patient & pour les spectateurs », ni que le peuple ne soit « injuste et cruel envers l’exécuteur » maladroit. Pour éviter les « hacheries » artisanales, comme l’exécution de Lally-Tollendal en 1766, il importe de prendre pour modèle l’Angleterre : « deux poteaux barrés par le haut par une traverse, d’où l’on fait tomber sur le cou la hache convexe au moyen d’une déclique » ; il faut que le dos de l’instrument soit assez lourd pour que, tombant de haut, il ait « un effet immanquable » : ainsi la « décapitation sera faite en un instant ». C’est ce qui arrivera au même Louis XVI, dix mois plus tard…
Désormais plus d’exécutions manquées, ni de bourreaux qui s’y reprennent à cinq fois, ni de peuple furieux ; c’était du moins l’objectif. Dans la République une et indivisible, il n’y aura plus la variété, effrayante et pittoresque, des procédés de mise à mort hérités du Moyen Âge : roue, pendaison, décapitation à la hache, bûcher (sans parler des procédés anciens et horrifiques mais abandonnés depuis plusieurs siècles : noyade dans un sac, ébouillantage).

 

Une machine parisienne et défectueuse

 

Quelques mois plus tard, le Département reçoit de Paris la « machine a décapiter » construite par un certain Schmidt. Mais la Côte-d’Or fait part au ministre des Contributions publiques du mécontentement que lui inspire sa « défectuosité » : « le bois est mal travaillé et d’un mauvais choix, le fer est sans solidité, rien ne joue : on l’auroit mieux faite ici pour trois cents livres, elle ne peut servir qu’il y soit fait de grandes réparations ». Il faut dire que Tobias Schmidt était facteur de clavecin ; peut-être avait-il eu tort de sortir de sa zone de confort ?
La lettre au ministre est rédigée en deux exemplaires ; on ne sait pas si elle a été envoyée à Paris. Elle est signée de membres du Directoire du Département : Mathieu Parigot, président ; Antoine Hernoux (futur maire de Saint-Jean-de-Losne en 1800-1802) ; Théophile Berlier 1761-1844 (futur président du Conseil des Cinq-Cents et secrétaire du gouvernement provisoire pendant les Cent Jours) ; Jean Étienne Chenevoy, avocat à Auxonne ; François Musard (futur commissaire central du Département en 1795-1798) ; Marc-Antoine Sirugue (Vitteaux 1754-Vitteaux 1842, futur baron d’Empire) ; Jean-Claude Decamp, de Seurre ; Pierre-Nicolas Rolle (1770-1855, originaire du Châtillonnais et futur créateur de la bibliothèque de Châtillon-sur-Seine en 1810) ; Charles Arnoult, procureur général syndic (qui fait suivre son paraphe de l’acronyme PGC) et Hubert Michel François Vaillant, secrétaire (deviendra secrétaire général de la préfecture jusqu’en 1815). C’est sans doute pour donner plus de poids à leur missive que tous les conseillers généraux apposent leur signature.

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Matériel et fournitures

 

Outre la machine à décapiter, il faut du matériel permanent et des fournitures qui ne servent qu’à une seule exécution. Le 30 novembre, on commande à Antoine Caumont, menuisier à Dijon, une « caisse destinée à mettre les cadavres des criminels guillotinés » respectant les dimensions suivantes (p. 6) : 6 pieds de long, 3 de large et 3 de hauteur ; elle devra comporter des « barres et des charnières de fer ». Le même jour, le Directoire commande à « Eustache Yencesse, tailleur d’habits à Dijon »1, « trois robes rouges qui ont servi à trois criminels guillotinés ». Jusqu’en 1810, en effet, les parricides furent exécutés revêtus de la robe rouge – ce qui est leur unique point commun avec les magistrats de la cour d’appel.

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Illustration guillotine
https://www.pariszigzag.fr/secret/histoire-insolite-paris/les-petits-surnoms-de-la-guillotine-a-travers-les-ages

 

Drôle de fiche de poste

 

Enfin, pour assurer des décapitations efficaces et sans heurt, il est nécessaire de recruter un exécuteur compétent. Le Département publie à cette fin une sorte d’affiche de poste. Dans un délai de deux semaines, les candidats aux fonctions « d’exécuteur des jugemens criminels » doivent se présenter à l’administration du Département, munis de deux pièces : un « certificat de civisme » délivré par la commune de résidence et un « certificat de complexion robuste » délivré quant à lui par « les officiers de santé du lieu de sa résidence ». Il ne suffit en effet pas d’être un bon républicain ; il faut aussi être fort car la machine à décapiter n’est pas automatique. Il faut parfois contenir les condamnés agités, toujours les basculer sur la planche et leur maintenir la tête (quoique ce soit surtout la tâche de l’aide, plus tard surnommé le « photographe »).
Il faut aussi avoir le cœur bien accroché et ne pas être maladroit, ce que l’affiche n’explique pas, mais que chacun comprend. Même avec la guillotine, l’exécution peut en effet être délicate, comme ce fut le cas en octobre 1854, pour l’exécution de la « femme Gautherot, épouse Gégé », à Dijon. Le couperet a d’abord cassé la mâchoire de l’infortunée, et non sa colonne vertébrale ; et il a fallu s’y reprendre à trois fois pour détacher la tête du corps. Le commissaire de police note que, « après la première chûte du couperet, on a entendu le cri de la suppliciée ». C’est que la « machine à décapiter » (qui inspira sans doute, à la fin du XIXe siècle, la « machine à décerveler » d’Alfred Jarry) n’est pas un robot !
Les archives sont d’ailleurs pleines de difficultés que l’administration rencontre avec les exécuteurs. Certains refusent des prendre des aides ; d’autres au contraire, en réclament. Le 9 vendémiaire an IV, Musard, commissaire central du Directoire exécutif, se plaint auprès du ministre de la Justice contre l’exécuteur Ferrey, qui depuis cinq mois a quitté son poste sans autorisation pour se rendre à Paris : il demande sa destitution et son remplacement par Louis-Gabriel Bellat, « homme extrêmement tranquille, exact à ses devoirs », alors que Ferrey est « sans moeurs et sans conduite et qu’il n’est pas de décade que le tribunal correctionnel ne soit forcé de le mettre en prison ».

Le lieu traditionnel des exécutions à Dijon, depuis le Moyen Âge, était la place Émile-Zola, alors appelée place du Morimont. Dans le courant du XIXe siècle, elles se firent dans des lieux moins centraux (avenue de Cromois, puis sur la place aux Foins). Enfin on exécuta devant, puis, après la seconde guerre mondiale, à l’intérieur de la prison. Le dernier condamné à mort de Côte-d’Or fut exécuté à Dijon en 1960, plus de vingt ans avant que ne soit abolie la peine de mort en 1981.

 

La (future) place Émile-Zola autour de 1900

La (future) place Émile-Zola autour de 1900 https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_%C3%89mile-Zola_(Dijon)

 


1 Sans doute le grand-père de Marie Eustache Ovide Yencesse, né le 3 février 1869 à Dijon et futur graveur et directeur de l’École des Beaux-Arts. En 1821, âgé de 53 ans, il demeure avec sa jeune épouse rue du Pont-Arnaut, c’est-à-dire rue Monge, non loin de la place du Morimont.

 

 

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