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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Juin - Le syndicat des travailleurs du Livre de Dijon

120 ans d'archives

 

Lorsqu’il voit le jour en 1878 sous l’impulsion d’ouvriers des imprimeries locales, le syndicat du livre de Dijon ne s’attend pas à vivre l’une des plus importantes aventures en l’espace d’un siècle : celle du progrès. Au gré des milliers de journaux imprimés et distribués chaque jour en Côte-d’Or, ce sont une multitude de métiers qui s’activent pour faire parvenir l’information à une vitesse inédite. Typographes, lithographes, rotativistes, clicheurs, dessinateurs… Tous souhaitent concrétiser la défense de leurs intérêts. Quand certains métiers disparaissent, d’autres les remplacent. Solidarité, entraide, sociabilité ponctuent la vie de l’ouvrier du livre. À l’heure des technologies du numérique, la conservation de ces archives constitue un témoignage fondamental de l’histoire sociale du département, faite d’événements marquants, de luttes parfois dures et de profondes mutations.

 

Omniprésent dans notre quotidien, le papier renferme pourtant de nombreux secrets concernant sa fabrication et ses usages. Livres, journaux, affiches, magazines… Tous ces éléments sont élaborés par des ouvriers. Typographes, linotypistes, rotativistes, imprimeurs sont autant de métiers dont les droits doivent être garantis. Il y a 159 ans, à Dijon, la première « société de secours mutuel de la typographie dijonnaise » voit le jour. Il s’agit bel et bien des prémices du syndicalisme ouvrier. Sur fond d’entraide et de solidarité, les typographes se réunissent afin de défendre leurs intérêts alors que le marché de la presse et du livre évolue. Cette naissance s’inscrit dans un contexte plus large encore, dans toutes les grandes villes de France. Le mouvement ouvrier est alors grandissant depuis les années 1860. Un véritable bouillonnement de revendications se fait déjà sentir en raison de l’évolution de l’économie et de la constante répression depuis la loi Le Chapelier (1790) interdisant aux ouvriers de se réunir et de créer tout syndicat.

Pourtant, les ouvriers, en de rares occasions, manifestent leur colère. La grève reste le moyen privilégié. Inspirés par les Canuts de Lyon, les typographes de Clichy près de Paris, en 1862, abandonnent leur poste pour dénoncer l’embauche de personnel féminin par l’un des plus importants imprimeurs du pays. Ces hommes sont toutefois sévèrement punis et plusieurs d’entre eux sont arrêtés. Un livre, intitulé Le procès des ouvriers typographes, rédigé par Armand Lévy, avocat, narre le procès qui suivit la grève. Malgré les peines infligées par le tribunal, cet épisode et ses modalités restent marquants puisqu’ils constitueront ultérieurement une source d’inspiration pour les ouvriers dijonnais.

ADCO 211 J 1/167Le procès des ouvriers typographes par Armand Lévy (1862).

 

Lorsque le délit de coalition est aboli et que les libertés syndicales sont rétablies en 1884, les ouvriers dijonnais peuvent, de fait, officialiser ce qui était déjà bien réel depuis 1878 : une Chambre Syndicale Typographique pour tous les ouvriers s’activant quotidiennement à façonner les journaux qui arborent les kiosques et à composer les ouvrages des bibliothèques. L’article 2 des statuts nous précise les objectifs d’une telle structure : solidarité, entraide, amélioration des conditions de vie et de travail constituent les principaux motifs de création. Les registres de procès-verbaux du syndicat du livre sont de précieux documents qui relatent, de façon régulière et sans discontinuer, le quotidien des ouvriers. Ils fournissent des informations sur l’évolution des revendications, sur le contexte. Toutes les réunions ordinaires ou extraordinaires y sont consignées et chacun des membres prend la parole. Ces registres attestent que chacun des ouvriers bénéficie de la liberté d’expression au sein du syndicat, quel que soit son poste ou sa rémunération et que le syndicalisme joue un rôle fondamental dans les évolutions de la société.

ADCO 211 J 1/14 Extrait du registre des procès verbaux de la Chambre Syndicale Typographique dijonnaise : statuts, 1884.

 

Au sein du syndicat des travailleurs du livre de Dijon, la sociabilité est fondamentale. Dès ses débuts, les typographes indiquent leur volonté « d’établir des rapports constants entre les ouvriers […] et leur apprendre à se connaître, à s’apprécier ». Le chant est l’un des moyens de souder les hommes les uns aux autres. En France, durant la période 1870-1914, le nombre de sociétés chorales est multiplié par 4, et ce mouvement n’épargne pas les travailleurs. Le renforcement de la conscience de classe favorise la naissance de chorales ouvrières comme à Dijon en 1888. La « société chorale des Travailleurs du Livre de Dijon » obtient un grand succès dans les années 1890. Plusieurs récompenses lui sont attribuées, immortalisées par des diplômes. C’est le cas en 1891, à Beaune, lorsque la ville organise un concours musical international où les ouvriers du livre, dirigés par Auguste Rémy, professeur de chant choral et désigné comme président honoraire fondateur. Ils obtiennent le premier prix avec les félicitations.

ADCO 211 J 1/186Diplôme octroyé à la chorale des travailleurs du Livre lors d’un concours organisé à Beaune en 1891.

 

ADCO 211 J 1/189
Les ouvriers du journal Le Bien Public lors de la grève de 1936.

Le XXe siècle est marqué par de nombreux bouleversements économiques, sociaux et culturels qui ponctuent la vie quotidienne de l’ouvrier du Livre. Au foyer comme à l’usine, l’évolution de son statut, de ses tâches et de sa rémunération constitue une préoccupation constante pour le travailleur. De la Première Guerre mondiale au dépôt de bilan des Dépêches, en passant par mai-juin 1968 tous ces événements constituent un pan important de l’histoire sociale contemporaine Côte-d’orienne.

 

À l’issue de l’occupation allemande en 1945, plusieurs titres de presse possèdent le monopole de l’information à Dijon et reprennent de la vigueur. Le Bien Public d’abord, créé en 1868 mais aussi La Bourgogne Républicaine, née sous les auspices du Front Populaire et de Jean Bouhey en 1937. Les années 1950 sont celles de l’emploi de nouvelles techniques d’impression et de nouvelles machines sophistiquées. Cela vient, sur le plan local, profondément modifier les tâches dévolues aux ouvriers. La Fédération Française des Travailleurs du Livre, située à Paris, intervient de façon régulière pour légiférer au niveau national. Elle délivre, au gré des pourparlers et des négociations, des accords globaux et des communiqués transmis aux usines et leurs ouvriers. Malgré cela, la solidarité qui régit le milieu syndical et les déséquilibres ressentis par les travailleurs provoquent de nombreuses grèves durant cette décennie. En 1955, plusieurs arrêts de travail pour réclamer la revalorisation des salaires éclatent à l’imprimerie de La Bourgogne Républicaine.

ADCO 211 J 1/52 Télégramme en provenance de Paris invitant les ouvriers dijonnais à faire la grève en 1955.

 

En mai 1955, un télégramme envoyé par Édouard Ehni (1900-1963) secrétaire national des travailleurs du Livre, demande l’arrêt de la parution des journaux pendant 24 heures.

Quelquefois, les événements durent plusieurs jours comme en août de la même année, où le récit des faits nous est proposé grâce aux nombreuses notes manuscrites détaillées. Lorsqu’éclate la crise sociale de mai-juin 1968, les ouvriers du Livre de Dijon se réunissent à la Bourse du Travail et la salle est comble. Ils élaborent en plein cœur du mois de mai un cahier de revendications locales et réfléchissent aux moyens de soutenir leurs collègues parisiens. Les registres de procès-verbaux constituent, là aussi, un précieux témoignage de cet épisode marquant.
Le déclin progressif des journaux, loin de leur apogée de la Belle époque et la diminution des tirages quotidiens mettent en difficulté les entreprises de presse, générant d’importantes tensions entre ouvriers et patronat.

ADCO 211 J 1 175/3Plaque de métal pour impression offset représentant une réunion dans la salle Ambroise Croizat à la Bourse du Travail, années 1970.

ADCO 211 J 1/138 Tract édité par les ouvriers du journal Les Dépêches, janvier 1982.

 

En 1981, le « Conflit des Dépêches » éclate, alors que plusieurs dizaines d’ouvriers du Livre travaillent à Dijon, notamment dans les locaux des Dépêches situés rue de Colmar. D’importantes coupes budgétaires sont décidées par la direction du Progrès de Lyon. Suppression d’emplois, mutations d’ouvriers dans le Rhône, dépôt de bilan.... La réponse des ouvriers, dès janvier 1982, est vigoureuse. S’ensuit une véritable surenchère : diffusion de tracts, occupations d’usines, banderoles sur le Palais des états de Bourgogne, sabotage de journaux… Malgré la détermination des ouvriers et leurs souhaits, plusieurs dépôts de bilan sont prononcés en décembre 1983. Le conflit des Dépêches laisse une marque durable dans le paysage éditorial local, aujourd’hui encore.

 

 

Bibliographie :

 

BELIN Jean (dir.), 1893-2013 : la Bourse du Travail de Dijon, Dijon, Institut d’histoire sociale CGT de la Côte-d’Or, 2014.

MARC Henri, La société chorale des Travailleurs du livre de Dijon, Dijon, 1891.

REBÉRIOUX Madeleine, Les Ouvriers du livre et leur fédération : un centenaire (1881- 1981), Paris, Temps actuels, 1981.

 

Le lecteur est invité à consulter, en écho au sous-fonds 211 J 1, les ouvrages donnés par l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT de Côte-d’Or à la Bibliothèque Patrimoniale et d’étude de Dijon, et provenant du syndicat du Livre. Les nombreux livres de ce fonds de bibliothèque forment un complément aux archives conservées par les Archives départementales.

 

 

Valentin VINCEROT-BESSONNARD
Archiviste stagiaire aux Archives départementales de la Côte-d'Or
(Dijon)

 

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