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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Décembre - Les débuts du théâtre municipal de Dijon

Au début du XIXe siècle, on construit des théâtres, on écrit des pièces, on constitue des répertoires amples et variés, on accueille des troupes ambulantes, et c’est le public qui sélectionne les acteurs. Mais, à côté de ce bouillonnement et de cet enthousiasme – ou peut-être à cause de lui –, les pouvoirs publics contrôlent les acteurs, les pièces, et jusqu’aux chansons qui pourraient être interprétées au cours des représentations.
Inauguré en 1828, le théâtre de Dijon, aujourd’hui en cours de restauration, pouvait accueillir 1.000 spectateurs, soit 4 % de la population ; le Zénith en 2005 pouvait accueillir 6 % de la population de la ville et 3,5 % de celle de la Métropole. L’auditorium inauguré en 1998 compte 1611 places : à deux siècles d’écart, les ratios sont comparables.

La démocratisation culturelle ne part pas de rien...

 

Ferveur patriotique et dynastique

 

Les premières victoires de Napoléon III excitent la verve patriotique des artistes en devenir, suscitant, auprès des autorités, une certaine perplexité, conséquence de la peur du ridicule. Il n’était plus, le temps où, sous la Révolution, le théâtre était patriotique ou n’était pas1.

 

 

Un souffleur à bout de souffle (1854)

 

Les archives nous parlent du personnel que le public ne voit pas, et dont les journaux ne parlent pas : toute cette machinerie humaine sans laquelle le théâtre ne pourrait exister. Le 18 septembre 1854, le souffleur du théâtre, Crouen, expose au préfet l’étendue de ses malheurs. Il n’est payé 70 francs mensuels que pendant la saison, qui est alors close depuis deux mois. Et il doit au boucher, au boulanger et à son logeur ; il est un « vieillard bien infortuné ». Comme à l’appui de sa demande de secours, il adresse au préfet une ode en octosyllabes intitulée Napoléon le Grand, dédiée « A Sa Majesté Impériale Napoléon III Proclamé Par le Choix du Peuple Empereur des Français ».

ADCO, 36 T 7A/1ADCO, 36 T 7A/1

 

Les quatre premiers vers, qui brillent par leur inventivité et la richesse de leurs rimes, annoncent la couleur :

Triste campagne de Russie !
Terrible pour nos bataillons,
L’hiver rigoureux en furie
Nous décima par ses glaçons.

L’ode parcourt rétrospectivement les aventures égyptiennes de l’Italique, devenu bientôt « le vainqueur du monde » et le « conquérant de la paix » ; puis vient Waterloo, Sainte-Hélène. De là on passe à la Seconde République :

Ledru-Rollin et Lamartine,
Imbus d’une fausse doctrine,
Louis-Blanc, Caussidières et consorts
Ont rouvert toutes nos blessures,
L’uthopie, les impostures,
Vous accableront de remords.

Enfin vient le neveu, « aimé, chéri, dans nos provinces ». L’ode est compétée par des pièces plus courtes à la gloire de Napoléon III (L’Éternel, « plus touché de nos maux qu’irrité de nos crimes », nous rend Napoléon) et de l’impératrice Eugénie (« une autre Joséphine »).
On ne sait quel effet eu sur le préfet cette curieuse missive, qui met en lumière la modicité des revenus des « petits métiers » du théâtre et le culte de Napoléon poussé jusqu’au ridicule. L’ode qui l’accompagne forme l’écho comique et dérisoire des vers que le souffleur dut longtemps entendre déclamer, depuis sa trappe, au ras de la scène.

ADCO, 36 T 7A/1ADCO, 36 T 7A/1

 

Volons à la Victoire (Souvenir de la bataille de l’Alma, 1854)

 

Chéri Jouanet, soldat au 3e régiment de ligne, moniteur des enfants de troupes, et Edmond Chanat, « artiste dijonnais » adressent au préfet de la Côte-d’Or un « Chant patriotique à l’armée d’orient » dont ils ont composé respectivement les paroles et la musique. Leur objectif est que leur mâle composition puisse être « chantée sur la scène » par deux ténors, un baryton et une basse, accompagnés d’un piano.
La guerre de Crimée, où les troupes françaises s’illustrent lors de la bataille de l’Alma, le 20 septembre 1854, doit venger 1814-1815, « époque fatale où ces soldats, hideux envahisseurs, osaient fouler notre terre natale, et massacrer nos mères et nos sœurs ». Car « l’Aigle du Nord [le tsar], aux têtes effroyables, vers l’Hellespont [Dardanelles] a dirigé son vol ». Et les couplets de dérouler tous les lieux communs sur les Russes et la Russies : « boyards » formant une « horde sauvage », terre de « honte et de servage » aux mains d’un « tyran effronté » (« czar » qui ne peut croire à sa défaite de l’Alma). Mais les « fils d’Arcole » auront le dessus, comme le répète le refrain :

Jeunes guerriers volons à la victoire !
Jusqu’au Kremlin portons nos étendards.

Las, le préfet ne sera pas assez sensible à ce bijou d’art patriotique pour accorder son autorisation :

 Je ne puis qu’applaudir au sentiment qui vous a inspiré cette composition, mais il me paraît inopportun d’en faire l’objet d’une solemnité théâtrale, et cette considération ne me permet pas de vous accorder l’autorisation que vous réclamez.

ADCO, 36 T 7A/2ADCO, 36 T 7A/2

 

Les acteurs élus par le public (1865) !

 

Le 22 septembre 1865, le maire prend un arrêté relatif aux débuts des acteurs. à l’automne sera jouée une « pièce de débuts » au cours de laquelle le public pourra voir les artistes candidats jouer sur scène. Chacun d’eux devra jouer trois fois. Ils sont classés en deux catégories : la comédie, le vaudeville et le drame, d’une part ; et, pour les chanteurs, le grand opéra, l’opéra comique et le ballet.
Les artistes qui emportent deux tiers des suffrages exprimés sont admis ; ceux qui sont rejetés par deux tiers desdits suffrages sont rejetés. Mais pour le candidat qui recueille entre 33 et 66 %, « il sera statué sur lui par une commission nommée par le maire » composée de 8 membres : 3 conseillers municipaux et 5 « abonnés ou habitués du théâtre ». Ce mode d’élection par les deux tiers est celui qui prévaut pour l’élection du pape depuis le XIIIe siècle ; il est ici tempéré par une commission qui permettait sans doute de « repêcher » des candidats moins brillants ou populaires, mais néanmoins de qualité.

Tableau des artistes du théatre de Dijon Tableau des artistes du théatre de Dijon.
ADCO, 36 T 7A 05

Arrêté du maire de Dijon relatif aux débuts des acteurs pour l’année théâtrale 1865-1866Arrêté du maire de Dijon relatif aux débuts des acteurs pour l’année théâtrale 1865-1866.
ADCO, 36 T 8 (22 septembre 1865)

Projet de théâtre : coupe de la salle (1810)Projet de théâtre : coupe de la salle (1810).
ADCO, PM 1588 art. 239 14

 

Les sources de l’histoire du théâtre aux Archives de la Côte-d’Or

 

Les archives des gens de théâtre sont naturellement d’origine privée. Dans les archives de Victorine de Chastenay, on trouve des ébauches ou des textes de pièces de théâtre, mélangées aux chansons et aux poèmes, tous genres littéraires de salon pour l’élite cultivée. Mais les archives littéraires sont plutôt à rechercher dans les fonds des bibliothèques.

Dans les manuscrits de Victorine de ChastenayDans les manuscrits de Victorine de Chastenay.
ADCO, E SUP 378/9

En revanche les fonds de compagnies théâtrales les plus considérables sont, pour le XXe siècle, ceux des Nuits de Bourgogne (autour de Michel Parent), de la Comédie de Bourgogne (menée par André Héraud) et l’Académie du théâtre de l’Auxois (fondée par Marcel Bozonnet). Mais on trouve aussi, au gré des fonds et des collections, des renseignements sur Jacques Copeau : photographies, travaux de la maison de Pernand-Vergelesses, enregistrements sonores, etc.

ADCO, 159 J 02
ADCO, 159 J 02
ADCO, 67 J
ADCO, 67 J
ADCO, AFF 159 J 34
ADCO, AFF 159 J 34

Les pouvoirs publics exercent une police des représentations, plus ou moins scrupuleuse suivant les époques et les régimes. Sous l’Ancien Régime, on interdit les représentations pendant les fonctions religieuses, mais on fait jouer les élèves dans les collèges. Après la Révolution, en sus du contrôle du contenu moral et politique, on trouve les traces du contrôle budgétaire des dépenses, du suivi de la main-d’œuvre employée. Le suivi des sociétés de secours mutuels des artistes sont parfois l’unique témoignage restant de ces ancêtres du régime des intermittents du spectacle. Mais les mairies et la préfecture sont surtout les financeurs de l’activité théâtrale : construction et entretien des bâtiments, contribution de fonctionnement. Et les contributions financières leur permettent de faire levier sur les contenus et la qualité, ce qui est parfois une façon plus subtile d’exercer une censure qui ne dit évidemment plus son nom.

Liste des pièces et chansonnettes interdites, 1854Liste des pièces et chansonnettes interdites, 1854.
ADCO, E DEP 569/37

Les archives du public sont des archives… privées. Il n’est pas rare de trouver, dans les papiers de particuliers, des programmes et des affiches. Y compris dans deux grandes collectes menées ces dernières années : théâtre aux armées, durant la première guerre mondiale ; pièces de théâtre montées dans les Oflags, durant le seconde. Il est très probable que beaucoup de Poilus allèrent alors pour la première fois au théâtre, et que beaucoup d’officiers en captivité montèrent alors pour la première fois sur les planches. Les deux guerres mondiales ont donc dû avoir un impact réel la consommation et la production théâtrale : c’est une hypothèse qui mériterait d’être confirmée.

Programmes de théâtre, 1941Programmes de théâtre, 1941. L’Oflag II-D met en scène des pièces de théâtre : «Azaïs» (de Berr et Verneuil), «Dulcinée» (de Baty).
ADCO, 1 J 0 143/1

 

Le théâtre de Dijon, inauguré en 1828

Le théâtre de Dijon au début du XXe siècleLe théâtre de Dijon au début du XXe siècle ; photo Remy Gorget.
ADCO, 29 Fi 51

 

Victor Hugo et l’art néo-classique (1831)


Quant au palais de la Bourse, qui est grec par sa colonnade, romain par le plein cintre de ses portes et fenêtres, de la renaissance par sa grande voûte surbaissée, c’est indubitablement un monument très correct et très pur. La preuve, c’est qu’il est couronné d’un attique comme on n’en voyait pas à Athènes, belle ligne droite, gracieusement coupée çà et là par des tuyaux de poêle. Ajoutons que, s’il est de règle que l’architecture d’un édifice soit adaptée à sa destination de telle façon que cette destination se dénonce d’elle-même au seul aspect de l’édifice, on ne saurait trop s’émerveiller d’un monument qui peut être indifféremment un palais de roi, une chambre des communes, un hôtel de ville, un collège, un manège, une académie, un entrepôt, un tribunal, un musée, une caserne, un sépulcre, un temple, un théâtre. En attendant, c’est une Bourse.

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. 1482, Livre III, Chapitre 2.

 


1 Clothilde Tréhorel, « Éduquer par le théâtre : rhétorique et éloquence au service de la Révolution », dans Rhétoriques révolutionnaires en Côte-d’Or. Entre laconisme et grandiloquence, Dijon, 2021 (Cahiers du Comité départemental pour l’histoire de la Révolution en Côte-d’Or ; 7), p. 165-176.

 

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