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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Mai-Juin - L’orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-Denis de Nuits-Saint-Georges

Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899), le plus célèbre des facteurs d’orgues français du xixe siècle (Notre-Dame de Paris, Saint-Sulpice…), n’a construit qu’un seul orgue en Côte-d’Or : celui de l’église Saint-Denis de Nuits-Saint-Georges, en 1878. Les documents de la collection Tassin Moncourt, (en particulier 51 F 57) permettent de préciser l’histoire de sa construction. On y trouve les courriers échangés entre l’abbé Garnier, curé de Nuits-Saint-Georges, et le facteur, les devis et marchés, et le dessin sur calque du buffet d’orgue.

L’église Saint-Denis de Nuits-Saint-Georges

L’église Saint-Denis (Notre-Dame-Saint-Denis) a été construite à partir de 1864 à l’initiative de l’abbé Louis-Simon Garnier (°Châteauneuf, 12 septembre 1812-† Nuits-Saint-Georges, 10 août 1877), curé de Nuits-Saint-Georges du 8 janvier 1848 à sa mort.
Siège d’un chapitre de chanoines, l’ancienne collégiale Saint-Denis, dont l’origine remontait au xiiie siècle, était un petit bâtiment couvert en laves, à chevet plat percé d’une seule fenêtre. Elle se trouvait à peu près à l’emplacement de l’église actuelle, un peu plus éloignée du quai et enserrée dans des propriétés privées. En 1733, le chanoine Boillot avait apporté son orgue à l’église. En l’an II cet instrument avait disparu, puisqu’ il était question de transporter l’orgue de l’ancienne église paroissiale Saint-Symphorien à Saint-Denis, devenue Temple de la Raison.
Dès la fin du XVIIIe siècle, la paroisse souhaitait s’installer à Saint-Denis à cause de la situation centrale de cette église, Saint-Symphorien étant excentrée, au nord de la ville.
Mais dès les années 1820, cet édifice menaçait ruine.
La décision est prise de construire une nouvelle église sous le vocable de Notre-Dame-Saint-Denis, selon un projet de l’architecte Saint-Père approuvé le 7 octobre 1864 par une commission constituée par Mgr. Rivet, évêque de Dijon.
Après de nombreuses péripéties (appels d’offres infructueux, modifications diverses, dépassement de budget, procès entre la fabrique et l’entrepreneur…) et les retards dus à la guerre de 1870, l’église avec ses sacristies n’est achevée qu’en 1880.
Le mobilier constitué en 1878-79 est l’œuvre de plusieurs artistes : Pierre Bossan, l’architecte de la basilique de Fourvière, et son élève Joannis Rey réalisent les autels de la crypte, le sculpteur lyonnais Dufrène les statues et le tympan de la porte d’entrée, l’atelier du sculpteur dijonnais Schanosky livre les boiseries du chœur, les vitraux sont commandés à Édouard Didron. En 1886, le peintre Meray achève les fresques de la nef et du chœur.

Références :
ADCO, 2O 463 15-17 ; 5V 350 ;
ADCO, D1/2782 : Abbé Batault, M. l’abbé Louis-Simon Garnier, curé de Nuits : notice                        biographique, Dijon - J. Marchand, 1878.

Un projet longuement élaboré (1871-1875)

Dès avant la construction de la nouvelle église, l’abbé Garnier avait acheté un petit orgue au facteur Verschneider en 1864 pour 9000 Fr.
Vendu en 1879 à la Paroisse de Brazey-en-Plaine où il se trouve encore actuellement, sur une tribune spécialement construite, cet orgue a été transformé dans les années 1960 par Philippe Hartmann et restauré en 2003 par Jean Deloye.
Pour la nouvelle église, l’abbé Garnier souhaite un instrument plus important.
La liasse 51 F 57 de la Collection Tassin Moncourt contient les documents qui permettent de préciser l’histoire de la construction de cet orgue par Cavaillé-Coll à l’initiative de l’abbé Garnier.
ADCO 51F 1-140 : fonds inventorié en 2016 par Audrey Sigoillot, étudiante en licence APICA (IUT de Dijon), stagiaire aux Archives départementales de la Côte-d’Or, sous la direction de Ségolène Garçon-Toitot, conservateur du Patrimoine, adjointe au directeur.

La tribune au fond de l’église est trop petite, l’orgue devra donc être placé dans le chœur derrière le maître-autel (aujourd’hui ce maître-autel et les stalles ont été démontés).
Dès le 1er octobre 1871, l’abbé Garnier consulte Hippolyte Réty, maître de chapelle à Saint-Pierre de Mâcon, au sujet de son projet d’orgue.

Hippolyte Réty, (°Saint-Laurent-sur-Saône, 27 novembre 1832-† Saint-Jean-le-Priche, 19 janvier 1919), greffier, puis juge à Mâcon, élève de Lefébure-Wély à Paris pour l’orgue, fondateur de la maîtrise de l’église Saint-Pierre de Mâcon, a publié en 1869 Études historiques sur le chant religieux et moyens pratiques d’en améliorer l’exécution dans les grandes et les petites paroisses, ouvrage auquel l’abbé Garnier fait référence dans son courrier. (Cf. Annales de l’Académie de Mâcon, société des arts, sciences, belles-lettres et d’agriculture, 3e série, T. 21, Mâcon, Protat, 1918-1919, p. 613-626).

Le choix se porte immédiatement sur le facteur Cavaillé-Coll.
Plusieurs années passent… l’église est bientôt complètement achevée. Malgré un procès entre la fabrique et l’entrepreneur, l’abbé Garnier envisage l’agencement du mobilier du sanctuaire : maître-autel, stalles et orgue, et le 18 juillet 1875, il écrit à Cavaillé-Coll.

Dans cette sorte de cahier des charges, il décrit l’instrument qu’il désire voir placé dans l’abside : un orgue à la fois d’accompagnement et « concertant » d’au moins 12 jeux, et fixe le prix : 15000 F. maximum, inspiré du devis donné par Hippolyte Réty dans son livre Études historiques sur le chant religieux… p. 235. Il demande à Cavaillé-Coll de venir sur place, ou d’envoyer un employé de confiance. Bien qu’il avoue que le projet n’est pas prêt d’aboutir, il demande de lui adresser les plans et devis le plus vite possible pour intégrer le projet d’orgue à celui de l’aménagement du sanctuaire.
Hippolyte Réty, études historiques sur le chant religieux …. op. cité p 235

Cavaillé-Coll envoie Gabriel Reinburg à Nuits-Saint-Georges le 30 juillet 1875.
Gabriel Reinburg, harmoniste, (°Strasbourg 20 août 1833- † Paris 28 janvier 1891) était le neveu par alliance d’Aristide Cavaillé-Coll dont il avait épousé la nièce à Paris le 14 novembre 1867.

Après cette visite, l’abbé Garnier reçoit le 10 août des propositions pour un orgue de 10 jeux ou de 12 jeux, avec un dessin des deux variantes en plan et en élévation.
Dans ces projets, il s’agit d’orgues avec un pédalier en tirasse de 20 notes seulement. Après consultation d’Hippolyte Réty, l’abbé Garnier écrit à Cavaillé-Coll qu’il préfère l’orgue de 12 jeux, mais avec un buffet plus élégant… et si possible un prix plus bas. Aristide Cavaillé Coll répond le 2 septembre 1875 : il accepte les suggestions d’Hippolyte Réty, notamment le remplacement d’un « petit jeu » par un Basson 8-16’ et propose un dessin de buffet conforme aux souhaits de l’abbé Garnier, mais le nouveau devis s’élève à 20350 F...

La réalisation (1878)

L’abbé Garnier, décédé le 10 août 1877, ne verra pas l’aboutissement de son projet, pas plus que Georges Krenger (Guebwiller 16 décembre 1816 † Nuits-Saint-Georges, 16 juin 1877) organiste depuis 1837…
L’abbé Salomon (Henry-Victor Salomon, (Montmoyen 24 avril 1833- † Nuits-Saint-Georges, 1er novembre 1884), conclut le marché de l’orgue avec son buffet, le 6 février 1878 pour 22550 F, selon le devis du 2 février 1878.
Ce document porte les signatures de Gabriel Reinburg pour Aristide Cavaillé-Coll, Henri-Victor Salomon, et des membres du conseil de fabrique : [Alexandre Berthier] de Grandry, [Thomas] Roux-Lambert, [Philibert-Eugène] Meray, [Guillaume] Misserey.

Dès le 25 mai, l’instrument est expédié par chemin de fer et monté sur place par Glock père et fils.

Glock François-Pierre (Scherwiller, 22 février 1810 - † Paris, 18 février 1900) et son fils François-Pierre (Paris, 22 février 1840 † 28 juin 1897). Cf. Cécile et Emmanuel Cavaillé-Coll, Aristide Cavaillé-Coll, Fischbacher, Paris 1929, p.132.

L’orgue en construction est signalé dans le rapport de visite pastorale de Mgr Rivet le 9 juin 1878 :
« Un nouveau jeu d’orgues vient d’être établi au fond de l’absyde ; il se distingue par l’élégance et le bon goût de son buffet, et il se distinguera nous l’espérons, par la qualité et l’harmonie de ses sons, car la mise en harmonie de cet instrument n’étant point encore achevée nous n’avons pas eu le plaisir de l’entendre. Il sort des ateliers de M. Cavaillé-Coll, facteur de grandes orgues à Paris. »

Le buffet, en chêne, correspond en tous points au dessin conservé.
La console placée en avant du buffet présente deux claviers de 56 notes, et un pédalier de 30 notes ainsi que les tirages de jeux et pédales de combinaisons correspondant à la composition suivante : 

L’inauguration

Le 8 juillet 1878 Léon Reuchsel, organiste de l’église Saint-Bonaventure de Lyon, inaugure le nouvel orgue avec le concours de son frère Félix, violoniste et nouvel organiste de Nuits-Saint-Georges. Au programme : entre autres, la marche nuptiale de Mendelssohn, la fanfare de Lemmens, une improvisation en forme de symphonie pastorale avec orage, et deux morceaux de violon avec accompagnement d’orgue.

« L’impression a été excellente. Nous avons acquis la certitude de posséder un magnifique instrument renfermé dans un buffet monumental ; d’une grande richesse de ressources malgré le nombre restreint de ses jeux, pouvant servir à la fois d’orgue concertant et d’orgue d’accompagnement, possédant en un mot toutes les qualités voulues pour louer Dieu dignement et élever à lui les âmes de ceux dont ses sons charment les oreilles. »
(Chronique religieuse de Dijon et du diocèse, juillet 1878, p. 519-520)

Léon (Vesoul, 11 février 1840 - † Lyon, 11 août 1915), et Félix (Nuits-Saint-Georges, 18 septembre 1830 † 1917), tous deux fils de Jean (Johann) Reuchsel, (Bettenhausen, 28 mars 1791- † Lyon, 15 mars 1871) organiste de Nuits Saint-Georges de 1824 à 1837. Cf. Michelle Guéritey, « La dynastie des Reuchsel », dans : Pierre Marie et Michelle Guéritey, Les orgues de Lyon, inventaire des orgues du département du Rhône, Tome 1, Comp’act, Seyssel, 1992, p. 92-99 et 107.

Un instrument heureusement préservé et entretenu

L’orgue est entretenu par Cavaillé-Coll, puis par Jean-Baptiste Ghys de Dijon. En 1902, après presque 25 ans d’usage, un travail de maintenance est proposé par la maison Kuhn de Maennedorf, qui possédait alors une succursale à Bellegarde, et qui avait en charge l’entretien de l’orgue de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon ; (c’est l’abbé René Moissenet, originaire de Nuits-Saint-Georges, qui avait fait intervenir la maison Kuhn à Dijon...).
Pendant la guerre, en 1941-42, la manufacture Jacquot de Rambervillers (Vosges), qui entretenait également à ce moment les orgues de Pagny-la-Ville et de Saint-Jean-de-Losne, effectue une restauration : le Basson 8’/16’ du Récit, déclaré « bien inutile dans cet orgue » est remplacé par un jeu de Principal 8’. L’ensemble de ces travaux coûte 4.500 francs. L’adjonction au Récit de trois jeux : Nasard, Doublette, Tierce avait aussi été demandée, mais sans suite (Cf. AD 88, 152 J 868).
En avril 1943, c’est la maison Merklin de Lyon qui installe un ventilateur électrique pour la somme de 14.000 francs.
Après l’explosion du pont du Meuzin en 1944, il faudra attendre 1947 pour qu’il soit question de réparer l’orgue. Dans un rapport du 8 juillet, la maison Merklin constate les dégâts :

« Les orgues de l’église de Nuits-Saint-Georges ont beaucoup souffert de l’humidité de l’église sinistrée. Il suffit d’ouvrir les panneaux pour constater que tout le mécanisme porte des traces d’oxydation... Inutile d’insister sur la poussière et les gravats qui encombrent les tuyaux... »

Les ouvriers commencent le démontage, mais l’état de la voûte de l’abside interdit de continuer les travaux avant de restaurer celle-ci. Finalement, l’orgue est réparé et muni d’un nouveau ventilateur en 1951 par la maison Merklin, après que Jean Lapresté est intervenu pour l’estimation des travaux au titre des dommages de guerre.
Paul Christophe, directeur de la maison Merklin, avait alors proposé des modifications avec l’ajout de jeux dans un esprit néoclassique, mais rien ne sera finalement fait dans ce sens et l’orgue reste dans son état d’origine, à l’exception du remplacement du Basson du Récit par un Principal effectué en 1942.
Entretenu ensuite par divers facteurs, cet instrument a été restauré à l’identique en 1997 par la Maison Th. Kuhn S.A. (Harmonisation: Paul Cartier, Kurt Baumann) ; le Basson 8-16 a été rétabli au Récit. Le concert d’inauguration a été donné le 10 octobre 1998 par Maurice Clerc, organiste, et Thierry Caens, trompettiste.
Cet instrument, contemporain de l’orgue du palais du Trocadéro, construit par Cavaillé-Coll pour l’Exposition Universelle de 1878, est remarquablement bien composé et harmonisé. Malgré ses dimensions assez modestes il permet de servir au mieux le répertoire romantique, y compris par exemple des grandes pièces de César Franck.

P.M. Guéritey, février 2020

Références :
Pierre Marie Guéritey, Paul Cartier: l’orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-Denis, Nuits-Saint-Georges, Mairie, 1998. (ADCO, Br1/2192)
Abbé Batault, M. l’abbé Louis-Simon Garnier, curé de Nuits : notice biographique, Dijon - J. Marchand impr., 1878 (ADCO, D1/2782)
Inventaire des orgues de Bourgogne. T. I : Côte-d’Or, Nièvre. Conseil régional de Bourgogne, DRAC, 1986. (ADCO, D2/388)
Pierre Marie Guéritey, Orgues en Bourgogne / 20e congrès de la FFAO [Fédération francophone des amis de l’orgue], du 6 au 11 juillet 2003, Dijon, Lyon, FFAO, 2003. (ADCO, D1/3084)
Pierre Marie Guéritey, « Et Cavaillé-Coll alors ? », Grand Jeu, Bulletin des amis de l’orgue de la cathédrale de Dijon, n° 32-34, Dijon, 2000.

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