archives.cotedor.fr

Archives départementales de la Côte-d'Or

Notre site internet vient d'évoluer, notamment pour rendre plus claire la présentation des résultats des recherches (toujours plus abondants à mesure que nous ajoutons de nouveaux inventaires). Il est possible que ces résultats ne soient plus cliquables sur votre écran. Pour résoudre cette difficulté, il faut taper ctrl+maj+suppr pour accéder au menu permettant de vider le cache. Pour votre téléphone, ou si cela ne fonctionne pas, il suffit, pour trouver la procédure, de rechercher "vider le cache", suivi du nom de votre navigateur, sur votre moteur de recherche favori.

Vous êtes ici : Archives départementales de la Côte-d'Or /

Décembre - Témoignages littéraires de Victorine de Chastenay

Victorine de ChastenayNée en 1771 à Paris et décédée en 1855 à Châtillon-sur-Seine, Victorine de Chastenay est l’auteur de traductions et ouvrages littéraires, mais aussi d’une importante production de notes de lecture portant sur les domaines de savoir les plus variés : littérature, histoire, linguistique, chimie, astronomie, physique, botanique, géographie...
Les Archives départementales en conservent plus de 4 000 feuillets qui témoignent de la curiosité intellectuelle et de la culture encyclopédique de cette femme des Lumières.

ADCO, D 3/3-35

Victorine de Chastenay appartient à une famille de la noblesse bourguignonne, établie au château d’Essarois (Châtillonnais) depuis le début du XVIIe siècle. Sous la Révolution et l’Empire, elle côtoie les cercles mondains et rencontre un grand nombre de personnalités influentes (politiques, scientifiques, littéraires), puis se retire au château.

 

« Je viens de lire… »

 

Victorine de Chastenay est l’auteur de traductions et d’ouvrages littéraires, mais aussi de mémoires, dont la publication a fait connaître le talent d’écrivain et la place singulière occupée par cette femme dans les cercles les plus divers de son temps. Cette position de témoin a suscité l’intérêt des historiens de la période. Mais, au-delà des événements historiques et des portraits de personnalités remarquables parmi ses contemporains, l’immense palette de ses centres d’intérêt fait de la comtesse un parangon de la femme des Lumières.

L’une des façons d’assouvir cette soif de savoirs consiste à dévorer des livres dont elle rédige ensuite des notes de lectures. Ces milliers de notes, écrites entre 1788 et 1855, sont conservées aux Archives départementales de la Côte-d’Or depuis 1894 ; elles font actuellement l’objet d’un projet d’édition électronique mené par le CNRS pour les rendre accessibles et exploitables.

Ces notes sont très homogènes sur le plan matériel : elles sont écrites sur des feuillets pliés en deux, chaque note étant composée d’un à quatre feuillets, rarement numérotés. L’écriture est difficile à déchiffrer, les lignes serrées, les espaces blancs très rares. On trouve quelquefois, pour préciser un détail, un schéma, un croquis, un plan rapide. Ces notes, très personnelles, sont visiblement destinées à leur seule rédactrice. Volontairement partiales et elliptiques, elles sont encore rédigées à la hâte : « mes notes auraient pour moi bien davantage d’intérêt si j’avais le temps de les détailler » (note n° 159).

 

Un éclectisme éclairé pour penser le monde

 

On pourrait faire une liste à la Prévert des thèmes abordés par Victorine de Chastenay dans ses notes de lecture, mais cette liste recouvrirait la quasi-totalité des domaines de savoir et présenterait l’inconvénient de devoir les caractériser par des dénominations largement anachroniques.
Tous les types de sciences (de celles dites dures ou exactes aux sciences sociales) y trouvent leur place, qu’il s’agisse de notes de lecture de mémoires de sociétés savantes ou d’ouvrages spécifiques comme la Chimie appliquée à l’agriculture, par Chaptal. En dehors des sciences proprement dites se trouvent les relations de voyages, la littérature, la politique.
La lecture des notes ne laisse apparaître aucune hiérarchisation dans tous ces domaines. En revanche, chacun implique une approche particulière dans la restitution, un type de réflexion adapté au sujet. Le regard sera plus factuel dans le cas des sciences dures et plus subjectif, voire moral ou poétique, en matière d’histoire, de politique ou de littérature.
Plus le plaisir de lecture est grand, moins rigoureuse est la prise de notes. Ayant lu, « avec beaucoup de plaisir, les Voyages de Polyclète par M. de Theis », Victorine de Chastenay en rappelle rapidement l’intrigue, puis, s’arrêtant sur les « morceaux très beaux », la plume s’emballe et elle prévient : « Il n’y aura aucun ordre dans mes notes ». S’ensuit, en effet, une liste de maximes lyriques, gorgées de valeurs morales, que lui a inspirées la lecture.

Illustration, note n° 117 (partition) : Air de chant de Nouvelle-Guinée

L’investissement personnel de la lectrice est omniprésent et ressort jusque dans la note de lecture d’une grammaire (26 août 1823) : « Je viens de lire l’Hébreu simplifié de M. de Volnay.- il y a dans cet ouvrage des choses assez étrangères à son objet ; il y en est d’assez bien faites. Il y en a des fausses à mon avis. Je ne puis admettre l’idée d’écrire les langues d’Orient avec nos caractères, ni les conséquences de cette première prétention. Les langues mortes, étrange idée, et pourtant vraie que celle d’une langue morte, l’hébreu, le syriaque, le chaldaïque, le phénicien, sont identiques à l’arabe vivant.- l’hébreu tel que nous l’avons est un des monuments les plus complets, les plus curieux de l’antiquité. Au total, cet ouvrage est une fort belle et fort précieuse analyse de l’hébreu. Il y rend le nom de voyelles aux lettres qui le méritent vraiment. Il décompose les points voyelles et jusqu’aux noms donnés aux espèces de constellations qu’on en forme. C’est d’après l’arabe qu’il analyse l’hébreu ; et je crois bien que pour étudier l’hébreu avec plus de fruit et de facilité, l’ouvrage de M. de Volnay sera utile ».

Il n’en demeure pas moins une constante : un esprit critique qui tient à contextualiser les affirmations ou les découvertes, et à établir des comparaisons – dans l’espace et dans le temps – pour cerner les spécificités d’une thèse ou d’une œuvre donnée, par exemple : « Je viens de lire le roman appelé Tirant Le Blanc, sur la parole du curé et du barbier de dom Quichotte.- je le crois de plusieurs mains, et de plusieurs dates ».
La critique s’applique donc tant sur le fond que sur la forme et la méthode. Sa note sur l’Iphigénie en Tauride de Goethe (2 août 1823) s’ouvre, par exemple, sur cette affirmation radicale : « M. Guizard, comme les autres traducteurs, a adopté un tutoiement en prose, qui me semble d’un goût bien faux ». On aura noté qu’il ne s’agit pas de généraliser, mais de limiter l’appréciation à la seule personne de l’auteur (« me semble » et non pas « est d’un goût bien faux »).

Illustration, note n° 72 (lettres de l’alphabet turc)

Illustration, note n° 72 (lettres de l’alphabet turc)

 

L’esprit critique, le jugement moral et les sentiments

 

« Je viens de lire ». Ces quatre mots ouvrent la plupart des notes et sont suivis des sujets et des ouvrages les plus divers. L’écriture est hâtive, le français côtoie l’italien, le latin, l’anglais ou l’hébreu, les lettres sont accompagnées de chiffres ou de schémas lorsqu’il s’agit de sciences mathématiques, physiques ou astronomiques ; des listes de plantes sont insérées dans des notes de lecture d’ouvrages de botanique.

Mais, « je n’ai le temps que d’en prendre quelques notes ». Il ne s’agit pas dans ces notes de résumer les livres lus (« je ne compte pas en faire l’extrait »), mais de consigner par écrit les impressions les plus fortes, négatives comme positives, et de donner un point de vue très personnel sur le sujet, la plume et les qualités de l’auteur. Ainsi, Bernardin de Saint-Pierre « a accusé l’émulation des classes de l’ambition des hommes – il a eu tort. Le principe dangereux de l’ambition est dans le sentiment de l’insuffisance – elle est odieuse quand elle abaisse pour parvenir, noble, quand elle lutte avec ce qui l’égale » (10 avril 1823).

Ces notes sont des commentaires, souvent sentencieux, l’expression d’une réaction immédiate et sensible à une lecture sur laquelle il s’agit de se prononcer, de donner son avis. Ces notes n’ayant jamais été destinées à la publication, elles donnent l’impression d’avoir été rédigées dans le seul but de se forger une opinion par la confrontation à celles d’autres auteurs. Il ne s’agit pas de juger objectivement, mais de s’exprimer à la première personne du singulier, en personne éclairée capable de tout lire et qui s’estime légitime à donner son sentiment sur tout écrit. Ce curieux mélange de science et de sentiment fait sans doute la grande originalité de ces notes.

Illustration, note n° 19 (Égypte)

Les sciences exactes touchent naturellement moins les sentiments que la raison. Dans ses notes sur les analyses des travaux de l’Académie des sciences, les faits et les découvertes priment, ce qui n’empêche pas l’auteur des notes d’y exprimer son esprit critique. Après des rappels très techniques des découvertes respectives d’Arago et de Fresnel en optique, l’impression des tables de logarithme et la substitution d’un arbre en fonte à l’arbre en bois de la machine hydraulique du pont Notre-Dame, à Paris, elle note : « Je ne puis suivre en tout M. Cuvier ».

L’entremêlement permanent entre les faits et les opinions semble indépassable. Victorine de Chastenay l’exprime à sa façon, dans une note du 25 octobre 1825 : « plus on étudie les sciences et plus on acquiert conviction que le mystère, c’est l’union de l’intelligence et de la matière. – La religion en a fait un dogme, en l’appliquant à certaines vérités religieuses.- mais la nature est un mystère.- l’homme est mystère.- l’univers est mystère.- et quand on étudie les sciences, on doit devenir philosophe, et cesser d’être religieusement incrédule ».

La rédaction de ces notes de lecture permet à Victorine de Chastenay de se forger une opinion et d’exprimer sa vision du monde par des éléments de savoir objectifs et une appréciation toute subjective qui marque l’appropriation personnelle et la réflexion sur les faits, les raisonnements et les partis pris des auteurs. Il s’agit bien de se mettre en capacité de comprendre tout phénomène (humain, physique, végétal, etc.) et de porter un jugement, non seulement sur ces phénomènes, mais aussi sur ceux qui en ont proposé une analyse.

L’enjeu ultime reste la diffusion des savoirs et la réduction de l’ignorance : « La théorie de l’aimant brille chaque jour de nouvelles lumières – mais combien j’aurais voulu être en état de mettre toutes les sciences en français.- » (4 septembre 1823). Par-delà l’éclectisme et l’infinie curiosité intellectuelle, cette appréhension du savoir – dans l’idée d’un développement infini de l’esprit humain – est caractéristique de l’esprit des Lumières. Il est incarné par des personnalités comme celle de Victorine de Chastenay qui conclut l’une de ses notes par « ces mots connus : indocti discant, ament meminisse periti » (que les ignorants apprennent, que les doctes aiment à se souvenir), programme universel et intemporel s’il en est.

Victorine de Chastenay Liasses des notes de Victorine de Chastenay

Les notes de Victorine de Chastenay :
ADCO, E SUP. 378/1 - 29

> Consulter la brochure