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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Août - Des châteaux dans la Bresse et le Bugey

À propos d’un registre de comptes illustré des sires de Thoire-Villars du XIVe siècle.

La documentation comptable médiévale fait partie des fleurons des Archives départementales, de la même façon qu’elle suscite un regain d’intérêt ces dernières décennies chez les chercheurs. Les questions sont multiples. Jadis appréhendés uniquement comme un réservoir d’informations, les documents comptables sont désormais étudiés pour eux-mêmes du point de vue de la scripturalité. Ils obéissent à des règles, des logiques d’écriture, de gestion et de conservation qu’il convient de démêler au même titre que les acteurs (les scribes, les commanditaires) qui se succèdent suivant un processus assez complexe et particulier.

Montage

Or, ces documents recèlent parfois bien des surprises et égaient les journées du chercheur ; les illustrations qui les recouvrent sont pourtant des objets d’étude à part entière.

C’est le cas en particulier de la représentation plus ou moins stylisée de certains châteaux dans un registre de comptes écrit en vernaculaire (franco-provençal) et établi pour le sire de Thoire-Villars au XIVe siècle. Plus précisément, il couvre les décennies 1360-1370. Sous la cote B 8240, ce registre soigné de quelque 249 feuillets fait partie de la documentation la plus riche émanant de ce lignage des pays de l’Ain. Outre le fait que cette comptabilité domaniale est intéressante à plus d’un titre pour la compréhension de la gestion au quotidien d’une seigneurie, elle prend une saveur toute particulière dans la mesure où ce type de documentation est plus rare pour des personnages qui n’évoluent pas dans les plus hautes sphères royales ou princières. Avec les Thoire-Villars, nous sommes cependant en présence d’un lignage influent à la tête d’une véritable « petite principauté », pour reprendre les termes de Paul Cattin1.

Les Thoire-Villars, un puissant lignage historiquement implanté entre la Saône et le Rhône

Avant d’entrer en effet plus en détail dans l’analyse du registre et de ses représentations, il faut brièvement replacer le contexte politique et géographique des Thoire-Villars, de manière à mieux cerner l’autorité qui a fait réaliser le registre.

Née de l’union matrimoniale vers 1187 entre les Thoire (établis originellement dans le Haut-Bugey à la lisière avec la Comté) et les Villars (féodaux dombistes), la famille de Thoire-Villars fait partie des potentats les plus actifs des actuels pays de l’Ain. Les regards se tournent également vers Lyon où plusieurs cadets occupent de hautes charges ecclésiastiques ; trois archevêques de Lyon aux XIIIe-XIVe siècles sont même du sang des Thoire-Villars.

Côté territorial, on observe un véritable ancrage politique entre les cours de la Saône et du Rhône. La seigneurie, dont le fils aîné est appelé à prendre la tête, offre un caractère résolument bipolaire : d’un côté, on trouve ce que les textes (la comptabilité n’y coupe pas) appellent « la Bresse » (entendons en réalité une large partie de la Dombes actuelle entre Villars, Trévoux et Montribloud) ; de l’autre, « la Montagne », à savoir le Haut-Bugey autour de Poncin et de Montréal. Voilà une entité bipolaire qui restera à jamais disjointe malgré de nombreuses tentatives de réunion. Le cœur de cette « petite principauté » demeure bien entre Dombes et Bugey malgré quelques possessions achetées ou héritées en Beaujolais et Lyonnais notamment.

Au moment de la rédaction de ce registre de comptes, le sire de Thoire-Villars vient de passer sous la vassalité savoyarde. En effet, en 1355, avec le Traité de Paris qui met fin à la sempiternelle guerre entre le Dauphiné et la Savoie, le sire – qui était résolument dans le camp dauphinois – doit désormais prêter l’hommage pour l’essentiel de ses terres au comte de Savoie. Un transfert d’hommage s’opère alors du dauphin de Viennois vers le comte de Savoie.

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Pourquoi des documents bressans et bugistes à Dijon ?
Éclatement documentaire et épopée archivistique

On peut s’interroger à bon droit sur la raison pour laquelle un document émanant d’un lignage de l’Ain actuel se trouve précisément aux archives départementales de la Côte d’Or. Il faut là encore remonter aux sources historiques de la famille de Thoire-Villars et de ses archives, furieusement éparpillées entre les différents dépôts nationaux voire internationaux !

En 1402, le dernier sire de Thoire-Villars, Humbert VII, ayant perdu son fils et étant confronté à l’invasion d’une partie de ses terres de Montagne par les troupes du maréchal de Bourgogne, décide de vendre ses terres. Mais ce dépeçage est aussi à l’origine de l’émiettement des archives.

Trois châtellenies dombistes (Ambérieux, Le Châtelard et Trévoux) échoient tout d’abord au duc de Bourbon, Louis II, qui vient de récupérer lui-même l’héritage du sire de Beaujeu. Voilà pourquoi plusieurs papiers des Thoire-Villars sont parmi les titres de la maison de Bourbon, conservés aux Archives nationales et inventoriés par Huillard-Bréholles.

En 1402 toujours, la majorité des terres du sire de Thoire-Villars (ce dernier s’en garde l’usufruit sa vie durant et ne mourra qu’en 1423) est vendue au comte de Savoie Amédée VIII. Grossissant les bailliages savoyards de Bresse et de Bugey, ces terres font partie de l’État savoyard, établi de part et d’autre des Alpes avec une capitale transférée de Chambéry à Turin en 1563. Terres et documents suivent alors vraisemblablement le sort des pays de l’Ain qui, un temps occupés entre 1536 et 1559 par la France, sont définitivement rattachés à la France (sauf le Val de Chézery) le 17 janvier 1601 en vertu du traité de Lyon. En outre, et c’est ce qui intéresse ici l’histoire de ce périple archivistique, ils sont placés dans le ressort de la chambre des comptes de Dijon en vertu de l’édit complémentaire de Fontainebleau de mai 1601. Le traité de Lyon prévoit certes un transfert d’archives fonctionnant sur la base d’une rétrocession entre la France et la Savoie, mais c’est davantage la date de 1692 qu’il faut retenir, comme l’a expliqué dans son article fondamental Jean Rigault2. À cette date, le Conseil d’État ordonne le transfert de Savoie en Bourgogne des documents savoyards touchant les territoires devenus français en 1601, c’est-à-dire la Bresse, le Bugey, le Valromey et le Pays-de-Gex. D’autres échanges importants de pièces d’archives ont lieu, en particulier en 1762, consécutivement au traité de Turin de 1760 qui instaure le Rhône comme frontière entre le royaume de France et le royaume de Piémont-Sardaigne.

Carte

Fig. 1 : La vente de la sirerie de Thoire-Villars en 1402 (carte F. Briffaz)

Au total, quelle que soit l’histoire complexe, particulière de ce registre de comptes des Thoire-Villars, il appert qu’il participe de l’extraordinaire richesse des fonds conservés aux archives départementales de la Côte-d’Or et concernant la Bresse, le Bugey et autres pays de l’Ain, savoyards jusqu’en 1601. Le « fonds de Savoie » occupe ainsi une place de choix au sein de la série B. En 1960 déjà, Jean Rigault, alors directeur des archives départementales de la Côte-d’Or, portait le nombre d’articles d’origine savoyarde à 4309 sur 12 324 articles inventoriés, « soit plus du tiers des archives de la Chambre des comptes de Dijon »3.

Les impressionnants rouleaux de comptes des châtellenies savoyardes font assurément partie des « stars » des Archives départementales de la Côte-d’Or. Pour donner un ordre de grandeur, plus de 2000 rouleaux de comptes concernent simplement la Bresse et certains, par leur longueur, mettent à rude épreuve les capacités physiques du chercheur4.

Cette manne documentaire est donc à mettre en parallèle avec le présent registre de comptes des Thoire-Villars.

Présentation sommaire du registre

Si la maison de Savoie plébiscite assez largement le rouleau de parchemin comme support de la comptabilité châtelaine, les Thoire-Villars optent à la même époque, dans le cadre du présent document, pour un registre de papier. En l’état actuel des recherches, cette pièce fait partie d’une unité archivistique de deux registres de comptes du sire de Thoire-Villars datant du XIVe siècle, les deux seuls rescapés en somme de la production comptable domaniale de ce puissant lignage. L’autre registre se trouve quant à lui à l’Archivio di Stato di Torino5, mais les dimensions, la physionomie matérielle de même que les pratiques administrative et scripturaire à l’œuvre sont semblables d’un document à l’autre.

Malgré quelques altérations vers les derniers feuillets, le registre conservé à Dijon (405 millimètres de hauteur sur 295 millimètres de largeur) est en bien meilleur état. La solide couverture comprend encore une lanière de fermeture bien en place. Le registre se compose de 249 feuillets (253 au total si l’on inclut les feuillets non numérotés ne portant pas d’écritures comptables ; la page de garde, portant une citation d’ouverture, n’étant pas paginée notamment).

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Fig. 2 : Le registre de comptes du sire de Thoire-Villars (B 8240)

Chose intéressante, on trouve une numérotation d’origine suivant un double système. Au recto sont mentionnées en chiffres romains les dizaines de l’année de reddition des comptes initiaux (LXI pour 1361) tandis que se trouve au verso la numérotation en chiffres romains du feuillet en question. Ce système perdure jusqu’au feuillet 24 verso inclus (pour la numérotation des feuillets) et jusqu’au feuillet 25 inclus pour ce qui est des années 1361. Quelques témoignages de numérotation apparaissent toutefois plus loin de façon discontinue pour évoquer l’année de reddition de compte.

FRAD021_B_8240_004La page de garde quant à elle est composée d’un extrait de l’Évangile selon saint Luc (11, 27-28), le même extrait que l’on retrouve dans un cartulaire des mêmes Thoire-Villars.

En-dessous, on trouve un prologue dans lequel le rédacteur se présente et date l’entreprise de mise au point du registre de comptes :

« Anno d[omi]ni mill[es]imo CCCmo sexagesimo primo die lune ante festum [con]v[er]sat[i]onis (sic) Sancti pauli videlicet vicesima quarta die mensis Januarii Ego petrus borni  del bioley cl[er]icus notarius publicus Incepi scriber[e] in p[rese]nt[i] papiru Computa d[omi]ni n[ost]ri de thoyre et de vilars vid[elicet] de anno LXI° sup[ra]d[ic]to p[ro]ut in d[ic]ta papiru Sequitur ».

L’auteur, Pierre Borni del Bioley, est qualifié de clerc et de notaire public. Selon toute vraisemblance, il s’agit du même personnage, appelé alors Peron Bornio, qui assiste à la reddition des autres comptes. Il dit avoir commencé à rédiger ce registre en 1361 (a.st.). Le fait est confirmé par le filigrane, bien visible en particulier aux feuillets 62 v° et 81 v°. Il s’agit d’un coutelas, marque de papetier correspondant au n°5114 identifié par Briquet6, lequel indique un exemplaire de ce motif à Lyon précisément en 1361. Ceci concorde et n’est pas étonnant dans la mesure où les Thoire-Villars ont l’habitude de s’approvisionner fréquemment à Lyon, ville où il est possible de se procurer des registres de papier clé en main.

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Fig. 3 : Un coutelas comme filigrane (f.62 v)

On est en présence effectivement d’un document mis au net. Le soin apporté à la mise par écrit des différentes redditions de compte des officiers se traduit par la présence bien visible de la réglure qui matérialise l’espace des colonnes. Typologiquement parlant, il s’agit d’un ensemble de comptes d’officiers du sire (cellériers – appelés « cellariers » chez les Thoire-Villars, véritables officiers de base –, châtelains, baillis, chacipols, juge, maître d’hôtel…). Tous les comptes sont rendus entre 1361 et 1372, c’est-à-dire sous le principat d’Humbert VI de Thoire-Villars, mort en 1372, à l’exclusion d’un seul, rendu à Trévoux en 1373.

S’observe ainsi une véritable homogénéité. Le système est le suivant : chaque officier vient rendre compte pour son mandement dans l’une des résidences du seigneur, et le compte précise si le seigneur est présent ou non. Dans le cas contraire, le sire se fait représenter par son épouse ou des commissaires. Tout est méthodiquement précisé dans le préambule de chaque compte qui suit un véritable formulaire : nom et qualité de l’officier, date et durée de l’exercice comptable (les années de référence varient de 1359 à 1372), lieu de reddition de comptes et liste des témoins lors de l’audition. L’exemple ci-dessous du compte de Jean du Breuil, cellérier du Barrioz, rendu le 6 mai 1363 à Poncin, donne une bonne idée du modèle appliqué :

« Johanz dou brueil n[ost]res celar[ier] del barrio le VI  Jour del meys de may lan mil CCC LXIII Comptiet per davant nous a poncins p[rese]ns Johan Rat p[er]on testa et p[er]on bornio de tout[es] les choses quil ha R[eceu] et mis p[er] nous deis le derr[ier] Jour del meys davril lan mil CCCLXII quil fit son autre compt[e] p[er] davant no[us] a poncins jusq[ues] au Jour duy einssi come y se [con]tient es l[et]res [et] chartreauz quil nous ha Rendu »

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Fig. 4 : Un exemple de préambule de compte, le compte du cellérier du Barrioz donné le 6 mai 1363 (f.48 v)

Tout ceci est fort instructif pour visualiser le maillage territorial voulu par les Thoire-Villars dans leurs terres, par le biais du réseau d’officiers. On peut élaborer une prosopographie et mettre ainsi en évidence de véritables dynasties ancrées localement dans le service du sire à l’instar des Gaspard à Monthieux, dans le plat pays de Dombes.

On peut retracer également l’itinérance du sire de Thoire-Villars par ces petites fenêtres, ces photographies à l’instant T de la reddition de comptes.

En outre, la comptabilité des Thoire-Villars fonctionne classiquement de façon binaire en présentant pour chaque compte les recettes et les dépenses appelées « mises » et divisées en « mises per lettres », c’est-à-dire des dépenses sur ordre expresse du seigneur et « mises sans lettres » lorsque les dépenses ont été faites du chef de l’officier, confronté parfois à certaines contingences d’envergure. Là encore, de précieuses informations sont données, notamment pour la gestion au quotidien de la seigneurie, les dépenses du sire pour sa famille etc.

Un registre joliment illustré

Chemin faisant, les deux registres de comptes offrent une vision concrète et pour tout dire attachante de la pratique scripturaire des Thoire-Villars par la présence de nombreux dessins dont il convient de noter la variété et la bigarrure. Certaines illustrations se comprennent suivant l’économie générale de la confection du document lui-même. Dans la marge du feuillet 54 par exemple (compte du cellérier de Montréal rendu en 1363), la manicule, associée à l’impératif « vide » (vois !) fait partie de ces notes de travail et d’avertissements au lecteur très courantes. Elle s’apparente au nota bene actuel pour attirer l’attention sur un élément particulier.

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Fig. 4 : Une manicule (f.54)

De plus, certains motifs s’apparentent à de simples variations esthétiques au fil sans doute de l’inspiration du scribe à ses heures perdues (motifs floraux par exemple) quand d’autres reflètent typiquement l’horizon culturel seigneurial et nobiliaire (la représentation des châteaux du sire en particulier).

L’illustration des sommes intermédiaires dans le détail des comptes est révélatrice de cette ambivalence et de ce foisonnement créatif. Les sommes sont un prétexte pour élaborer quelques dessins qui n’ont pas de rapport direct au contenu du texte. Le but est tout bonnement de signaler au lecteur la présence d’une rubrique à part entière (ici, une somme intermédiaire des recettes ou des recettes en argent, en nature, ou des dépenses de différentes sortes, c’est selon). On trouve de nombreux motifs floraux (fleurs de lys, feuilles de chêne, noisetier par exemple), des objets (cloche, croix de toutes sortes sur socle ou non, corde et nœuds par exemple), des formes géométriques (carrés, entrelacs à la façon de certains seings de notaires). Néanmoins, l’acrobate ou le heaume du chevalier (à la façon des Plantagenêt ?) renvoient typiquement à la cour seigneuriale où ont lieu certaines festivités et à la culture nobiliaire dont la chevalerie est partie intégrante au XIVe siècle.

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Fig. 5 : Quelques exemples des illustrations des sommes intermédiaires
(f.47, 54 v, 9 v, 9 v, 22, 27 v, 33, 65 v, 87 v, 136 v, 164 v, 74)

 

La représentation des châteaux sur le registre.
Aspects réalistes et symboliques d’une pratique administrative et esthétique.

À plusieurs reprises, mais pas de façon systématique, jouant des pleins et des déliés à l’encre, le scribe a représenté le château chef-lieu de mandement pour lequel est établi le compte. Voilà un aspect visuel très fort puisque le dessin encadre le titre. La lecture du registre en est d’autant plus facilitée par ce jeu illustratif. C’est là une invitation au voyage, entre « Bresse » et « Montagne », avec quelques incursions en Beaujolais et Lyonnais ; en tournant les pages, le lecteur suit en quelque sorte l’itinérance seigneuriale. Sans donner lieu à une intensité et une précision gestionnaire aussi forte que ne le fera le célèbre Armorial de Guillaume Revel pour le duc de Bourbon, l’idée est aussi de donner un aperçu de l’ensemble des châteaux du seigneur et, par là-même, de la densité du maillage castral. Loin d’être des illustrations banales, ces illustrations sont des indicateurs à prendre en compte des logiques de l’écrit à l’œuvre dans ces comptes vecteurs d’une certaine culture nobiliaire et seigneuriale.

À côté de motifs floraux et géométriques qui jalonnent les murs du château et  entrent en écho avec les sommes intermédiaires, comme c’est le cas par exemple pour des représentations du château de Montdidier (château dominant la vallée de l’Ain, à la lisière avec la Comté) ou du château de Poncin (place forte centrale en Haut-Bugey), on trouve en réalité des motifs graphiques « clé-en main » qui apparaissent comme des concepts, des formes stylisées et des emblèmes de la puissance seigneuriale.

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Fig. 6 : Le château de Montdidier et ses motifs floraux en écho (f. 23 v)

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Fig. 7 : Le château de Poncin, entre motifs géométriques et stéréotypes castraux (f. 19 v)

La représentation du château de Poncin inaugurant le compte de Pierre de la Balme rendu le 28 juillet 1362 (fig. 7) illustre bien cet état ambivalent. Les murs sont formés par ces carreaux géométriques et floraux qui relèvent d’une véritable touche esthétique, mais l’ambition est de faire figurer des éléments caractéristiques du prestige seigneurial et de l’architecture castrale. Sont bien mis en valeur la courtine reliant deux hautes tours (une ronde ou cylindrique et une carrée), et surtout les créneaux et les merlons, éléments défensifs par excellence.

On le voit donc, le fort capital symbolique est réinvesti ici dans la valorisation de la puissance du réseau castral du sire de Thoire-Villars par le biais d’éléments défensifs surreprésentés : hautes tours et créneaux fonctionnent comme des éléments récurrents métonymiques. Le confort seigneurial relatif à la dimension résidentielle et non pas défensive et militaire uniquement est lui aussi bien mis en évidence. Les baies trilobées se retrouvent sur plusieurs représentations de châteaux pour signifier la qualité et la puissance du détenteur des lieux, à l’image des châteaux de Riverie, dominant les monts du Lyonnais et de Montgefond, possession comtoise des Chalon passée avec Montdidier aux Thoire-Villars.

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Fig. 8 : Des baies trilobées à Riverie et à Montgefond (f. 80 v et 45)

Les représentations n’en demeurent pas moins intimement associées à une logique de valorisation lignagère ; en témoigne la présence de la bannière des Thoire-Villars (bandé d’or et de gueules de six pièces) qui flotte sur la tour du Châtelard (fig. 9)

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Fig. 9 : La bannière des Thoire-Villars au château du Châtelard
(comptes de Jean de Montronzart, cellérier du Châtelard et de Marlieux, f. 11 v et 83)

En outre, malgré l’aspect stéréotypé de plusieurs représentations, certains éléments figuratifs renvoient une image plus proche de l’architecture castrale des Thoire-Villars. Cette dimension plus « réaliste » est très intéressante du point de vue de l’étude castellologique car elle donne surtout une idée de certaines particularités que le scribe a voulu mettre en évidence. Ainsi, à la vue des remplissages et des carrés alternés (noir/blanc) du château de Loyes, à l’extrémité sud-orientale du plateau de Dombes tombant sur la basse vallée de l’Ain et la Valbonne, comment ne pas voir une référence, certes largement esthétique, aux carrons, ces matériaux semblables à de grosses briques typiques de la construction castrale en Dombes et bien conservés encore sur toute une série de châteaux des Thoire-Villars comme à Ambérieux-en-Dombes et au Montellier ? Fabriqués dans les carronnières, dont la toponymie a fréquemment gardé la trace, les carrons peuvent être de véritables motifs esthétiques lorsque le bâtisseur se joue des différents états de cuisson.

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Fig. 10 : Un château dombiste en carrons, Loyes (f. 99)

Un autre témoignage de cette représentation plus figurative qui se cache derrière nombre de stéréotypes seigneuriaux et qui participe de l’affirmation politique du sire est donné par l’illustration du château de Trévoux au feuillet 247 v°. La situation sur un promontoire (ou plutôt sur le rebord sud-occidental du plateau de Dombes en aplomb de la Saône) du château, dominé par un très beau donjon octogonal, fait assez rare mais dont les précédents sont des exemples princiers, est retranscrite d’une certaine façon par l’élévation très visuelle de la tour-donjon par rapport à la muraille (fig. 11).

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Photo donjon

Fig. 11 : Le château de Trévoux et son donjon octogonal (f. 247 v)

Bibliographie indicative

Bouyé, Édouard, « La Savoie à Dijon ? » dans Coppier, Julien et Maurin, Hélène (dir.), Aux sources de l’histoire des châteaux. Actes de la journée d’étude d’Annecy (11 décembre 2015), Cinisello Balsamo-Annecy, SilvanaEditoriale-Archives départementales de la Haute-Savoie, 2016, p. 51-55.

Briffaz, Florentin, « Le nomadisme châtelain des sires de Thoire-Villars au miroir des registres de comptes. Pratiques seigneuriales et culture nobiliaire au XIVe siècle », dans Faucherre, Nicolas, Gautier, Delphine et Mouillebouche, Hervé (dir.), Le nomadisme châtelain IXe-XVIIe siècle. Actes du sixième colloque international au château de Bellecroix, 14-16 octobre 2016, Chagny, Centre de castellologie de Bourgogne, 2017, p. 186-211.

Briquet, Charles-Moïse, Les filigranes. Dictionnaire historique des marques du papier de leur apparition vers 1282 jusqu’en 1600, Genève, Jullien, 1907, t. II.

Cattin, Paul, « Des comptes inédits des seigneurs de Thoire-Villars (1338-1353) », dans De la pierre au parchemin. Trésors d’histoire savoyarde : mélanges dédiés à la mémoire de Gérard Détraz, Annecy, Académie salésienne, 2007 (Mémoires et documents publiés par l’Académie salésienne, 114), p. 77-90.

Jéhanno, Christine, « Le compte et son décor : entre norme comptable et liberté du scribe », dans Mattéoni, Olivier et Beck, Patrice (dir.), Classer, dire, compter. Discipline du chiffre et fabrique d’une norme comptable à la fin du Moyen Âge, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2015, p. 97-152.

La Bresse dans les États de Savoie (XIIIe-XVIe s.), Dijon, Archives départementales de la Côte-d’Or, 4-5 juillet 2014, actes à paraître

Martin, François, Les comptes de la sirerie de Thoire-Villars. Comptes des châtellenies et de l’hôtel 1361-1362, Transcription de document, Fareins-Oyonnax, 1990.

Rigault, Jean, « Le fonds de Savoie aux Archives de la chambre des comptes de Dijon », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du comité des travaux historiques et scientifiques, année 1960, vol. I, 1961, p. 401-419.

Florentin Briffaz
Doctorant contractuel à l’Université Lumière Lyon 2 (CIHAM – UMR 5648)
Thèse en cours sur « la noblesse dans la mouvance du prince dans les États nord-occidentaux de Savoie (mi XIIIe-mi XVe siècles) »

1. Cattin, « Des comptes inédits des seigneurs de Thoire-Villars… », p. 79.
2. Rigault, « Le fonds de Savoie… ».
3. Ibid., p. 413.
4. Cf. notice du document du mois présenté en juillet 2014 aux Archives départementales de la Côte-d’Or (Comptes de la châtellenie de Bâgé, 1351-1352, B 6777).
5. Archivio di Stato di Torino, Camerale Savoia, Inventario 165, mazzo 1.
6. Briquet, Les filigranes…, t. II, n° 5114, p. 304.

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