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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Mai - Les dernières lettres d’un résistant (1942)

Le 7 mars 1942, René Romenteau, jeune étudiant de l'École Normale de Dijon, est exécuté par les autorités militaires allemandes. Il est alors accusé, avec trois amis normaliens, d'avoir participé à un attentat contre le Foyer du soldat allemand (Soldatenheim) installé place du Théâtre à Dijon, dans la soirée du 10 janvier 1942.
C'est de sa cellule de la prison de la rue d'Auxonne à Dijon qu'il rédige deux lettres : la première à l'attention de ses parents le 25 février 1942 en poinçonnant une feuille de papier, la seconde pour sa fiancée le 1er mars 1942. Il est fusillé avec ses camarades le 7 mars suivant.
Ces deux documents, derniers témoignages émouvants de la vie de ce jeune homme de 21 ans, sont exposés aux Archives départementales de la Côte-d'Or au cours du mois de mai 2019

René Romenteau est né à Créancey le 21 décembre 1921. Scolarisé à l'école primaire supérieure Hippolyte Fontaine, il est alors décrit comme un très bon élève, travailleur, ayant toujours donné satisfaction.

C'est en juillet 1939 qu'il fait sa rentrée à l'École normale, quelques mois avant que la France ne déclare la mobilisation générale. Il a 18 ans lorsqu'il assiste à la chute du pays : la "drôle de guerre", la signature de l'armistice et l'exode de millions de français. L'armée allemande s'installe alors à Dijon située en zone occupée.

Le maréchal Pétain qui arrive au pouvoir en juillet 1940 n'a jamais caché sa grande méfiance vis à vis de l'Éducation nationale accusée du déclin de la France. Son gouvernement va alors dissoudre le syndicat national des instituteurs et supprimer les Écoles normales considérées comme des lieux de sédition et des bastions du républicanisme.

La promotion de René Romenteau a alors la sensation d'être "sacrifiée", d'être la dernière, comme en témoignent certains dessins réalisés par les futurs instituteurs. Chassés des locaux historiques de la rue Charles Dumont (qui accueillent l'armée française puis allemande), ils vont être relégués dans une simple salle de l'école maternelle rue Desvosge.

Ces attaques répétées du pouvoir contre les instituteurs mais aussi la déroute française et la soumission du pouvoir face à l'envahisseur vont souder quatre normaliens (Pierre Vieillard, René Laforge et Jean Schellnenberg) autour de René Romenteau et de ses idées. Ils entrent en résistance dès l'été 1940 en formant le groupe Maxime Gorki rattaché aux jeunesses communistes. Leur activité principale consiste à imprimer des tracts puis les distribuer dans Dijon. C'est dans le cadre de cet engagement qu'ils rencontrent Lucien Dupont, un camarade ouvrier travaillant dans une usine de la rue Charles Dumont.

Le 10 janvier 1942 un attentat a lieu place du théâtre à Dijon contre le foyer du soldat allemand (Soldatenheim).

Il n'y a aucune victime mais la police dijonnaise diligente immédiatement une enquête qui la mène sur les traces de Lucien Dupont et de ses amis normaliens. René Romenteau est alors arrêté alors qu'il est en stage dans une école de Semur-en-Auxois. À son domicile sera retrouvée une liste de recettes d'explosifs.

Il est ensuite interrogé par le commissaire Jacques Marsac à trois reprises entre le 15 et le 19 janvier puis placé en détention à la maison d'arrêt rue d'Auxonne, tout d'abord dans la partie française puis dans la partie allemande en tant qu'otage.

C’est de sa cellule que René Romenteau écrira deux lettres confiées en juillet 2017 aux Archives départementales par un membre de sa famille.

 

Lettre à ses parents

C’est une lettre datée du 25 février 1942 de 8 sur 21,5 cm, très certainement rédigée à l’aide d’un poinçon. Son aspect très fragile tranche avec le contenu qui se veut rassurant : «la santé est bonne» malgré quelques jours de «cachot» et plusieurs passages à tabac au commissariat («par 3 fois»). Il raconte ensuite son quotidien : horaires et contenu des repas («par semaine 2 viandes 1 fromage»). Il demande également des nouvelles de ses proches («Papa donne lui de mes nouvelles») et termine en donnant des consignes pour faire passer les prochaines lettres dans les colis («papier plié fin à plat»).

Ce petit morceau de papier  témoigne ainsi, aussi bien à travers sa forme que son contenu des conditions de détention difficiles de ces «otages» allemands : passages à tabac,  cachot, maigres repas mais aussi des difficultés rencontrées pour contacter leurs proches. Les courriers sont en effet interdits par l’administration allemande obligeant les détenus à passer par les surveillants parfois au péril de leur vie.

Transcription :

1. Toujours illisible destinataire (?) illisible faim ou pain (?) santé

2. bonne (?), moral illisible serai par Allemands

3. pas illisible cas merci Villy va bien

4. demande à illisible mai ou moi (?) arrêté 4 jours (?) par Villon ou Dijon ou prison (?) 1 ou je (?) passé à ta

5. bac par 3 fois ou flics (?) illisible puis rue d’ (?) Auxonne (?) du 1er (?) au 5 (?) cachot

6. illisible normale lever 8h soupe ½ ( ?) et illisible bonne mais court par

7. semaine 2 viande 1 fromage et vous (?) illisible bonne santé je pen

8. se Maurice illisible Papa ? Donne (?) lui de mes nouvel

9. les 1 rue J. Tissot (?) m’attendra et si avez eu mon prochain

10. colis mettez illisible papier plié fin à plat

11. enveloppé de papier d’étain dans illisible beurre ou pa

12. te (?) du peu illisible loisirs ( ?) ça illisible avant de cuire rien

13. dans illisible m’écrire illisible savates

14. confiant vous embrasse bien fort René 25 fev.

 

Lettre à sa fiancée

C'est une lettre plus petite de 6 sur 22 cm (recto verso) rédigée au crayon et datée du 1er mars 1942 que René Romenteau réussira à faire parvenir jusqu'à sa fiancée. Plus dense, elle s'adresse ici à la personne dont il est amoureux : "je suis encore ton nanou", "je ne pense pas que tu auras à m'attendre longtemps" "je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te rendre heureuse"... Il s'inquiète du tort qu'il aurait pu causer à ses proches "la pensée que j'ai fait de la peine, causé bien des soucis à mes parents, à toi, à tous les gens qui m'aiment".

Il donne également plus de détails sur sa captivité et ses journées : "Lever à 8h. Nettoyage de la cellule. Soupe à 9h. 1/2 ou 10h. Resoupe à 5 h. 1/2", "une fois par semaine, promenade", "cellule de 4 m sur 2 à peu près". Le jeune normalien continue de faire du sport "chaque jour je fais ma séance de culture physique (3/4 d'h.)", "je trouve le moyen de faire chaque jour 5 ou 6 km parfois plus"

Enfin, René Romenteau se veut là encore rassurant et démontre une force de caractère peu commune pour son âge : "je suis en train de me former le caractère, de cesser d'être un gosse", "sommes sur la bonne voie", "le moral et la santé sont solides"

 

Ces documents très émouvants, témoignages directs d'une période troublée, renvoient à la fragilité de leur rédacteur qui, à seulement 20 ans, est enfermé, passé à tabac, isolé et privé de contacts avec sa famille. René Romenteau se veut sans cesse rassurant : souhaite-t-il rassurer sa famille sachant que la mort approche ? Fait-il confiance aux autorités française en pensant qu'il ne serait condamné qu'à une peine de prison pour distribution de tracts ?

Six jours après avoir écrit à sa fiancé, le 7 mars 1942, la terrible sanction tombe : les allemands annoncent aux quatres camarades normaliens qu'ils seront fusillés dans la soirée. Ainsi, peu après 18 h, René Romenteau est tué au stand de tir de Montmuzard avec ses trois amis normaliens ainsi que Robert Creux, un jeune artisan ébéniste. Cette décision de l'administration allemande est une réponse aux différents attentats ayant eu lieu dans la région : le 28 décembre 1941 à Dijon contre un officier allemand blessé par balles, le 27 janvier 1942 à Montceau-les-Mines contre un soldat allemand, le 29 janvier contre un douanier allemand et le 22 février contre l'hôpital allemand de Chalon-sur-Saône.

L'occupant espère ainsi mettre rapidement fin à la résistance en terrorisant la population ; mais le meurtre de ces trois normaliens aura un retentissement important car il les transforme en martyrs. Leur nom est donné à une rue de Dijon.

Ces deux dernières lettres sont donc un témoignage fragile et vibrant d'une jeunesse résistante sacrifiée par l'armée allemande avec la complicité de l'administration française.

René Romenteau n'aura malheureusement jamais eu le plaisir d'enseigner ni de transmettre son savoir. Pourtant, grâce à ces deux témoignages et son histoire tragique, il laisse aux générations à venir une formidable leçon de courage. 

C'est ainsi que P. Jouannaud, membre de la promotion 38-41, également emprisonné mais libéré le 4 mars le résumera en lui adressant ces mots1 : "vous n'avez jamais eu le bonheur d'avoir ‘votre classe’ mais tous les jeunes Français sont devenus vos élèves".

 

1. «Rue d’Auxonne janvier-mars 42» dans le Normalien Dijonnais de février-mars 1967.

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