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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Février - Monsieur de Voltaire : seigneur, châtelain et notable en pays de Gex

Portrait VoltaireVoltaire aux Archives de la Côte-d’Or

 

En 1758, Voltaire s’installe à la frontière entre le royaume de France et la république de Génève. D’abord au château de Tournay (actuellement en Suisse), puis à Ferney (aujourd’hui Ferney-Voltaire), dans le pays de Gex (actuel département de l’Ain). Ce pays frontalier, rattaché à la France en 1601, ressortissait à la généralité deC 1833 Bourgogne, dont le siège était à Dijon : c’est la première raison qui explique la présence de dossiers concernant Voltaire dans la série C. Car, comme influent châtelain de Ferney, il arrive à Voltaire d’écrire à l’intendant ou au ministre pour intercéder en faveur du développement économique du pays de Gex.

Comme c’est le président de Brosses céda à Voltaire la jouissance de la terre de Tournay par un bail à vie passé devant notaire en 1758, on trouve aussi un important dossier sur Voltaire à Ferney dans les papiers de la famille de Brosses.

Châtelain de Tournay

E 338Le 10 janvier 1760, Voltaire, avec Mme Denis (sa nièce, gouvernante et maîtresse) écrit au contrôleur général des Finances que « l’infection est dans le pays par un marais voisin qui s’etend jusqu’au jardin de notre château (…) il n’est resté qu’un seul habitant dans le village ou se marais se forme (…) on enterre dans ma paroisse un de mes vassaux mort de la contagion. Tous les bestiaux qui paissaient auprès de ce marais sont morts. La province gémit mais personne n’agit. Il faut des dépenses. Le peuple aime plus l’argent que la vie. J’aime mieux la vie que l’argent. Mais le temps presse. Les exhalaisons seront mortelles au printemps ». Il signe, en compagnie de Mme Denis, comme « gentilhomme ordinaire de la Chambre ». Son intervention permettra d’assainir ce marais de Magny, initiative utile pour le pays et agréable pour le châtelain incommodé par les exhalaisons (C 1833).

C 1903Le domaine de Tournay fit retour au frère du président de Brosses à la mort de Voltaire en 1778 ; mais Mme Denis, nièce, gouvernante, maîtresse et désormais héritière de Voltaire, tente de faire prouver devant la justice que son oncle a fait et dépensé pour le domaine bien plus que ce à quoi il était tenu par le bail 1758. Elle en demande le remboursement et produit le livre journal tenu de la main de Voltaire, qui le montre bon et scrupuleux comptable des travaux d’embellissement qu’il a faits au château, de l’entretien des bois et du développement du cheptel (E 338).

Seigneur haut-justicier, mais pas partout

C 1836En 1760, un Suisse nommé Panchaud, demeurant près de Tournay, « en poursuivant un particulier qui venoit de lui voler ses noix, luy donna un coup de sabre sur le bras dans un lieu nommé la Perrière ». La question, dans cette zone de frontière, est de savoir de quelle haute justice  (compétente en matière criminelle) dépend le lieu du crime.
 
Il est intéressant d’observer, quelques mois avant le déclenchement de « l’affaire Calas », quel genre de seigneur justicier est Voltaire sur ses terres. L’administration royale, qui doit trancher la question de la compétence judiciaire sur cette très petite terre de la Perrière, écrit non sans ironie : « L’on prétend que M. de Voltaire ouvrit d’abord son cœur a la pitié lors des plaintes qui lui furent portées ; mais il ne voulut plus en entendre parler aussitôt qu’il lui fut proposé de faire instruire a ses frais une procédure criminelle par ses officiers ».
 
L’affaire est jugée en première instance à Gex, puis en appel au parlement de Dijon, et l’on demande à Voltaire de payer les quelque 577 livres de frais de justice ; ce dernier « cria à la véxation », arguant que la Perrière dépendait soit de la République de Genève, soit du bailliage de Gex, mais en aucun cas de la seigneurie de Tournay. « Les mouvemens qu’il s’est donné pour le prouver sont incroiables (…) il seroit et inutile et difficil d’entrer dans le détail de toutes ses demarches. » Le président de Brosses expliqua que ce lieu « dépend de la haute justice de Tournay et que ses officiers y ont fait des actes de justice ».

Finalement c’est le domaine royal qui perçoit l’amende payée par Panchaud et qui règle les frais de justice en 1761. L’affaire montre un Voltaire ami de la justice tant qu’elle ne lui coûte rien (C 1903).

Notable de Ferney 

Portrait VoltaireDésormais installé à Ferney, Voltaire s’intéresse à la vie économique du pays de Gex. Il écrit à l’intendant le 29 juin 1771 une lettre pour lui expliquer les malheurs du temps, qui commence ainsi : « Vos bontés pour notre très chétif petit païs égalent nos désastres ». Dénonçant les « monopoleurs » qui stockent du grain, il décrit sa propre action pour acheter hors de la province et distribuer du grain à « quatre vingt personnes ». Puis il critique le choix de l’implantation du port de Versoix (entre Divonne-les-Bains et Genève, sur le lac). Décrivant le développement des fabriques de montres à Versoix et à Ferney, il se dépeint sous les traits d’un chargé du développement international de ces industries : « Mon principal objet a été de leur procurer le débit de leurs ouvrages chez l’étranger. Ils ont, en dernier lieu, envoié pour soixante mille livres de montres à Pétersbourg et pour trente mille à Constantinople ». Puis il proteste de son désintéressement : « On ne croira pas sans doute que j’aie entrepris tout cela sans le moindre intérêt. Cependant, Monsieur, rien n’est plus vrai ; et non seulement sans intérêt, mais j’ai sacrifié jusqu’au revenu que me produisaient mes fonds emploiés pour eux ». 

Il termine par une formule à l’emporte-pièce, conclut en reprenant le sujet initial de la lettre (la disette) : « M. Fabri [subdélégué de l’intendant de Bourgogne] m’a mandé qu’il avait eu l’honneur de vous envoier un mémoire concernant la fontaine de Ferney. Nous avons au moins l’agrément d’une belle fontaine de marbre, si nous n’avons ni vin ni froment. » 

Tout en louant et en soulignant le rôle de l’intendant en faveur des populations et du développement économique, Voltaire en marque habilement les limites et les lacunes ; et, avec une humilité dont il est permis de douter de la sincérité, il se donne le beau rôle de principal « bienfaiteur » du « chétif » pays de Gex (C 1836).

OuvrageSoucieux de faire respecter la justice tout en marquant la hiérarchie sociale qui le distingue de ses « vassaux » et du « peuple », M. de Voltaire entend joindre l’utile (débouchés commerciaux internationaux pour l’industrie horlogère locale) à l’agréable (endosser le rôle du « bienfaiteur » de la province), concilier l’intérêt général (assainissement de l’atmosphère) à son intérêt particulier (agrément du jardin), défendre de nobles causes (dédommager un pauvre diable sabré pour quelques noix) sans rien dépenser (au prix « d’incroyables » procédures). Il veut le bien des hommes, sans oublier le sien propre. Au service de ses biens, de ses droits et de ses revenus, Voltaire met sa plume inimitable.


ADCO, C 1833, C 1836, C 1903, E 338