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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Avril - Le « Clos du Maréchal », 20 mai 1943

AssietteMonsieur Delessard, archiviste en chef du département de la Côte-d'Or, est invité le 20 mai 1943 à assister à l'opération de bornage du Clos du maréchal Pétain qui doit se tenir le 25 mai 1943 à Beaune, au lieu-dit « Les Teurons ». L'invitation accompagne aujourd'hui un morceau d'assiette signée « Moustier-Longchamp », dont les autres morceaux ont été déposés au nom du maréchal Pétain sous les bornes concernées par l'opération.

La petite et la Grande histoire : La vigne du maréchal Pétain, de Jean Vigreux

 

Le don de vignes fait au maréchal Pétain en 1942 a été retrouvé et étudié sous toutes ses coutures par l'historien Jean Vigreux, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale. L'histoire du « Clos du maréchal » n'est pas seulement une histoire de collaboration revendiquée par la ville de Beaune sous l'Occupation, c'est, pour reprendre les termes de l'ouvrage, « une histoire sociale du politique, une histoire locale au regard de l'histoire nationale, mais aussi une histoire économique et culturelle ; en somme, une histoire totale de Vichy à l'échelle bourguignonne ». A l'aide de ce regard désormais expert en la matière, et en passant par le prisme de cette invitation et de ce morceau d'assiette aux allures démodées, l'histoire ramène le passant curieux à Beaune, à la fin des années Trente.

Beaune et ses environs sous l'Occupation

 

Depuis l'entre-deux-guerres, Beaune est en concurrence avec la ville de Dijon pour son titre de capitale du vin de Bourgogne. C'est une petite ville historique prospère lorsque le 17 juin 1940, les troupes allemandes envahissent ses rues. Les « années noires » sont un temps de lutte entre des habitants réactionnaires qui participent largement à la politique du régime de Vichy, et un foyer actif de résistants déconsidérés par nombre de Beaunois. La majorité, plus que favorable au régime autoritaire instauré par le maréchal Pétain, manifeste sa loyauté sous la forme d'un terrain de vigne, cadeau symbolique et politique s'il en est, offert au chef de l’État en 1942.

Offrandes et serment d'allégeance

 

Au printemps 1942, ce don de vignes s'inscrit dans une longue procession d'offrandes au maréchal Pétain mise en scène pour consolider le nouveau régime. Le mouvement avait été lancé en 1940 et bénéficiait d'une histoire – fictive sans doute – selon laquelle une famille de crémiers s'était déplacée jusqu'à Vichy pour faire don d'une douzaine de gros œufs frais au maréchal. La vérité importe peu ici ; seuls comptent l'impact réalisé sur les esprits et la volonté de faire pour ainsi dire allégeance par un don symbolique ressemblant à s'y méprendre aux hommages liges de l'époque féodale.

Robert Grimaud, alors préfet délégué du département et fervent promoteur du régime de Vichy, s'insère dans ce mouvement. Il demande au préfet régional, Charles Donati, l'autorisation de vendre un terrain de vignes des Hospices de Beaune au département avant de la donner au maréchal Pétain. Le maire de Beaune est rapidement convaincu de l'intérêt de l'opération que l'on prépare dès lors minutieusement. Deux jours avant le don, le notaire dijonnais chargé de l'affaire est reçu en audience à Vichy, et le 29 mai 1942, une délégation spéciale remet au maréchal ses actes de propriété. A son retour, Roger Duchet, premier magistrat de la commune de Beaune, déclare au journal de Beaune : « Nous sommes heureux et fiers de posséder, maintenant sur notre « Montagne » de Beaune, le « Clos du Maréchal ». » Ce geste éminemment symbolique est, écrit Jean Vigreux, « un instrument qui marque le territoire du sceau du chef de l’État. » Il aura des conséquences politiques, économiques, culturelles et sociales pour l'ensemble de la région.

Cérémonie de bornage et propagande

 

C'est le préfet régional, Charles Donati, secondé par l'ingénieur géomètre Mourgeon, qui organise toute la cérémonie de bornage. La jeunesse et les notables sont au cœur du projet, afin d'aider à redorer l'image du régime de Vichy par l'intermédiaire de la personnalité du maréchal Pétain. Léon Delessard, archiviste, reçoit l'invitation le 25 juin 1943, un mois exactement après la cérémonie. Il commente d'ailleurs au crayon de papier ce malheureux contre-temps: « Il était un peu tard ». Un peu tard pour prévenir les notables d'un événement d'envergure. Néanmoins, le document vaut la peine d'être soigneusement archivé dans les fonds isolés du service, ne fût-ce que pour l'originalité intrinsèque d'une impression réalisée par Mourgeon lui-même et imprimée avec des planches de couleurs. La requête est claire : il faut produire une invitation à la fois remarquable, marquante, et aussi traditionnelle que possible, ce qui explique le choix d'une calligraphie, de formes et de dessins médiévaux, voire moyenâgeux.

Organisée en triptyque, la convocation présente les étapes découlant de la donation. La première, la plus officielle, est présentée comme une charte scellée de cire rouge et débutant par une illustration de couleur qui annonce l'affaire en question : la borne gravée est entourée d'un géomètre, de ses ouvriers mesurant le monument, et sans doute d'un maître-d'ouvrage veillant à la bonne exécution du travail. La deuxième est introduite par une grande lettrine enluminée dans laquelle un crieur, muni d'un long rouleau de parchemin, semble proclamer la nouvelle au destinataire du courrier. Enfin, la troisième page, figurant l'invitation personnelle faite à l'archiviste, n'est plus rehaussée que par deux lettrines rouges introduisant chaque paragraphe. Le message est clair : le maréchal Pétain fait son entrée dans la vie des Bourguignons.

Du papier à l'objet : l'opération de bornage

 

L'invitation ayant préparé le passage de l'idée à l'action, la cérémonie de bornage a lieu comme prévu le 25 mai 1943. Trois bornes sont installées autour du « Clos du Maréchal ». Chacune a été taillée par de jeunes tailleurs de pierre à partir des carrières de Corgoloin, commune de Côte-d'Or. Deux de ces bornes sont installées avant la cérémonie, n'en laissant qu'une dernière pour le jour dit. Les bornes sont gravées minutieusement, comme le dessin le laisse déjà supposer sur l'invitation, avec les insignes propres au régime : la francisque, ainsi que les initiales du maréchal, « P. P. ». Afin d'entériner cette alliance entre le régime de Vichy et les notables locaux, on enterre sous la borne à l'entrée de la vigne, des morceaux d'assiettes, comme celui-ci présent ici, une dalle aux armes de Nicolas Rolin, en tant que fondateur des Hospices, un taste-vin et une bouteille portant l'étiquette du Clos du Maréchal. La mise en scène est complète, à une exception près.


Le Clos du Maréchal dans l'ombre de Beaune ?

 

La préparation se révèle plus percutante que la réalisation du projet. Le 25 mai, les différentes personnalités officielles sont bien réunies, mais à part quelques curieux, Jean Vigreux remarque que les Beaunois ont plutôt boudé la cérémonie, malgré quelques articles dans les journaux acquis au régime. A ce moment-là, outre une fracture qui se fait entre l’État et la population française, c'est le calendrier festif propre à la vie de Beaune et aux cinq cents ans de son Hôtel-Dieu qui vient faire de l'ombre à l'événement. Rien n'est perdu cependant dans les esprits : les deux événements font se rejoindre les projets culturels et politiques de la Révolution nationale sur la ville de Beaune, qui est glorifiée, un temps, par cette marque du maréchal. Lien entre l'histoire locale et nationale, symbole politique, histoire d'une parenthèse tue pendant longtemps, l'histoire du Clos du Maréchal, racontée par Jean Vigreux, revêt toute son importance et retrouve un certain arôme transmis par une invitation quelque peu surannée et un morceau d'assiette peinte à la main.

Archives départementales de la Côte-d'Or, 1 J 1428


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