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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Document 13 - Fausse monnaie

2 F 22Fonds Gevigney.

Enquête faite sur la fabrication de fausse monnaie à la Monnaie de Paris.

Archives départementales de la Côte-d'Or,  2 F 22. 

 

C’est l’informacion que messire Guillaume de Nogaret1, chancelier de France, a fait par le commandement
Nostre Siree le Roy sus le fait de la Monnoie de Paris.

[Gaillart Veel, de Cahors, valet du Roi]

Prumierement. Gaillart Veel de Cahours, vallet nostre sire le Roy, dit par son serment que il vit plusieurs
foiz quant les mestres de la Monnoie allayent2 pour faire les bourjoys doubles, que il mestoient en la
layement petiz tournois et petiz parisis et billon noir ; et dit que il disoit bien aus mestres :  « Seigneurs,
vous faites mal, vous vous mestez en grant peril, et je ne doute que mal vous en vieigne ». Et il
li respondirent : « Ne te chaut, nous encheviron3 bien. »
Item il dit par son serment que illi avoit changeurs affaitiez qui apportoient par nuit ce billon noir
et ces petiz tournois et ces petiz parisis de quoi l’en fesoit les bourjoys doubles si comme il est dessus dit, a tel
heure et en tel point que le changeur qui estoit establi pour le Roy a la Monnoie n’i estoit pas, si que
ledit billon et ces tournois et des parisis dessusdiz n’estoient pas escripz ès pappiers comme billon, mes il
estoit escript ès pappiers autant d’argent comme ledit billon monstoit au fuer4 de LXXV sous.
Et dit par son serment que de tout ce devantdit billon a l’en bien gasté pour faire les doubles
si comme il est dessus dit la value de 5 ou 6.000 marcs d’argent le Roy.
Item il dit par son serment que toutes les foiz que les mestres voulloient fondre pour faire
les doubles, si comme il est dit dessus, que il fondoient par nuit et fesoient couchier les fondeurs
et quant tout estoit fondu si que l’en ne povest connoistre ceu que c’estoit, adonques si
huchoient5 les fondeurs pour jeter6.

[Firmin, fondeur]

Item Fermin le fondeur dit par son serment que les mestres de la monnoie allayent par nuit et ne voulloient
pas que il iffust present et mestoient us fournel et il mestoient le feu dedenz et les croysiaus
estoient couverz de tuylles si que l’en ne povest savoir que c’estoit dedenz. Et quant tout
estoit fondu si que l’en ne povest connoistre que ce estoit dedenz, adonc si appelloient les fondeurs
pour jeter. Item, dit ledit Fermin par son serment que il trouva une foiz petiz tournois
qui estoient cheuz hors des croysiaus devant le fournel. Item il dit par son serment
que Gallart Veel et Sarreth son compaignon, Raymon Aymar et Arnoullet son neveu estoient
tourjouz par nuit et par jour avecques les mestres quant il allayent.

[Nicolas de Losenne, fondeur]

Item Nicholas de Losenne, fondeur, dit par son serment que plusieurs foiz les mestres de la Monnoie
fesoient les croysiaus et les mestoient au feu, et quant tout estoit fondu si que l’en ne povest
connoistre ne savoir ceu que estre avoir esté, adonc si appelloient le fondeur pour jeter ; et tout
ceu a esté de nuit et de jour. Item il dit par son serment que il vit une foiz petiz tournois
au pié du fournel qui estoient cheuz hors du croisiauz7. Item il dit par son serment que li
et ses compaignons firent une foiz garnalle8 de petiz tournois et de petis parisis. Item il dit par son serment
que plusieurs foiz il vit et oÿ que l’en apporta par nuit a la Monnoie billon de la meson Petit Perrot
et de la meson Pierre de Cahours, essayeur, mes il ne set pas quel billon c’estoit ne la cantité.
Item il dit par son serment que les mestres de la Monnoie firent plusieurs foiz garner9 billon de Bre-
tonciaus, de Quoquibus et de Canbroisiens, et tenoient la garnalle par devers eus ; et quant il 
allayent, il mestoient de ladite garnalle, mes il ne savoit pas se ce estoit pour faire
doubles ou sengles.

[Arnoullet, fondeur]

Item Arnoullet le fondeur dit par son serment que il vit que les mestres de la Monnoie fondirent
une foiz a une fondée petiz tournois. Item il dit par son serment que il vit plusieurs foiz que quant
les mestres fondoient pour faire les doubles, que il mestoient ès croisiaus pour fondre gros tournois
de XXI deniers. Item il dit par son serment que il vit bien plusieurs foiz que les mestres allayent 
par nuit et mestoient dedenz les croysiaus et les mestoient au feu et quant tout estoit fondu si que l’en
ne povest connoistre que ce avoit esté dedenz, adonc si appelloient le fondeur pour jeter.


[Boniface, essayeur]

Item Boniface l’essaieur dit par son serment que les mestres de la Monnoie li firent faire par plusieurs
jourz IIII essaiz de petiz tournois et de petiz parisis ; et il demanda au mestre quel qantité de petiz
tournois et petiz parisis illi avoit ; et le mestre li dit : « Ne vous chaut, il n’i a pas grant cantité. » Item il dit
par son serment que il vit plusieurs foiz venir par nuit a la Monnoie hommes chargiez qui venoient 
de la meson Petit Perrot et de la meson Pierre de Cahours, essaieur ; et croit bien que ce estoit
billon devee. Item il dit par son serment que les mestres fondoient une foiz pour faire doubles
et que il vit que il mistrent dedenz les croisiaus gros tournois de XXI deniers. Item il dit
par son serment que il vit plusieurs foiz, quant les mestres allayent pour faire doubles,
que il mestoient billon de Bretonciaus en leu de coyvre10. Item il dit par son serment
que les mestre se gaistoient mout de li puis II mois ou puis trois, que il ne veist ce qu’il fesoient.

[Ranuccio, essayeur]

Item Raynuce l’essayeur dit par son serment que les mestres de la Monnoie li firent faire
plusieurs foiz essaiz de petiz tournois et de petiz parisis. Item il dit par son serment que il vit
une foiz que les mestres avoient allayé pour faire doubles et que il mistrent dedenz les
croisiaus au feu pour fondre gros tournois de XXI deniers et billon noir.


[Sarreth]

Item Sarreth dit par son serment que il vit plusieurs foiz, quant le mestres de la Monnoie
allayent pour faire les bourjois doubles, que il mestoient en l’allayement petiz tournois et
petiz parisis et billon noir ; et dit que il disoit bien au mestres : « Seigneurs, vous faiste mal ; 
vous vous mestez en grant peril, et je me doute que mal ne vous en vieigne. »
Item ledit Sarreth dit par son serment que illi avoit changeurs affaitiez qui apportoient par
nuit ce billon noir et ces petiz tournois et petiz parisis de quoi l’en fesoit les doubles si comme il
est dessus dit a tel heure et a tel point que le changeur qui estoit establi a la Monnoie pour le Roy
n’i estoit pas, si que ledit billon et les petiz tournois et petiz parisis dessusdiz n’estoient pas escripz dedenz
les pappiers comme billon, mes il estoit escript ès pappiers autant d’argent comme ledit billon
monstoit au pris de LXXV sous.
Item il dit par son serment que toutes les foiz que les mestres voulloient fondre pour faire les
doubles si comme il est dessus dit, que il fondoient par nuit et fesoient couchier les fondeurs et,
quant tout estoit fondu si que l’en ne povest conoistre ceu que ce estoit, adonques si appelloient 
les fondeurs pour jeter.

 

1. Guillaume de Nogaret (vers 1270-1313), originaire de Toulouse, anobli par Philippe le bel en 1299, fut garde du sceau en 1307-1309 puis 1311-1313.
2. Allayer : faire un alliage.
3. Enchevir : venir à bout de.
4. Taux, montant.
5. Crier, appeler, inviter, convoquer.
6. Terme de fonderie encore en usage : fondre, couler dans un moule.
7. Croysiau, croysiau, croisel : récipent, creuset.
8. Grenaille.
9. Transformer en grenaille.
10. Cuivre.

 

Commentaire :
En 1311, on substitue au dernier de saint Louis une monnaie sensiblement altérée (titre et poids plus légers) ; on frappe des espèces nouvelles, le « bourgeois ». Par cette dévaluation (le denier comptant de moins en moins d’argent fin), le Roi garde pour lui la différence entre la valeur intrinsèque (prix du métal monnayé) et le cours légal (qu’il détermine). 
Le bourgeois, nouvelle monnaie noire (c’est-à-dire contenant plus de plomb et moins d’argent), est l’objet de fraudes présumées à la monnaie de Paris. Les maîtres de la Monnaie, en cheville avec des changeurs extérieurs à la Monnaie, font frapper des monnaies contenant moins d’argent qu’elles ne le devraient, et ils semblent empocher la différence. C’est pourquoi le chancelier de France fait interroger les « petites mains », fondeurs et essayeurs, pour savoir ce qui se pratique effectivement. Ceux-ci se dédouanent en racontant les manœuvres nocturnes que leur imposent les maîtres et en répétant les mises en garde qu’ils leur adressent.

 

Bibliographie :
Ferdinand de Saulcy, « De la fabrication de la fausse monnaie au Moyen Âge », dans Mélanges de numismatique, 1877, p. 124-130 [édition du document communiqué par l’auteur à Joseph Garnier].
Jean Favier, Philippe le Bel, Paris, Fayard, 1978, p. 149-158.

 

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