Printemps des Poètes 2022 : l'éphémère (page 11/13)
Robert Delavignette, « Toussaint 1917 »

ADCO, 166 J 25, poésie 24

 

Né à Sainte-Colombe-sur-Seine en 1897, Robert Delavignette fait ses études au lycée Carnot de Dijon, puis il prend part aux combats entre 1916 et 1919, dans l’artillerie.
Il mène ensuite une brillante carrière dans l’administration coloniale, À l’arrivée du Front populaire au pouvoir en 1936, il devient chef de cabinet de Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-Mer. En 1937 il devient directeur de l’École nationale de la France d’Outre-Mer (ENFOM) jusqu’en 1946. En 1946 et 1947 il occupe le poste de Haut-Commissaire au Cameroun. En mars 1947 il est promu gouverneur général et nommé directeur des Affaires politiques au ministère de la France d’Outre-Mer, dirigé de nouveau par Marius Moutet. En 1951, il démissionne en raison de son désaccord avec la politique en Indochine. Il devient alors professeur de « Droit et coutumes d’Outre-Mer » à l’ENFOM. Il a écrit quantité d’ouvrages sur les colonies et meurt en 1976 à Paris. Ses archives ont été données aux Archives de la Côte-d’Or en 2016. On y trouve des poèmes de jeunesse, notamment de sa période de guerre, tour à tour pleins de verve, de gravité ou d’ironie. La poésie, pour Robert Delavignette, qui est par ailleurs reconnu pour ses romans, est plus qu’un violon d’Ingres. Tout, dans ce recueil, est inédit. Homme de tête et d’action, Delavignette fut aussi homme de cœur.
Ici il écrit son amour plein de tristesse pour ses camarades « morts sans parole », dont seules les archives « froides » rendront compte dans un siècle. L’engouement pour la Grande Collecte, qui a permis d’exhumer tant de textes sensibles et pleins de vie écrits par les Poilus, montre que son appel (recueilli, inventorié et affiché par les Archives) n’est pas resté vain !

 


De ce sol par l’indigne ennemi convoité
Et qu’aura fécondé votre sang juvénile
Fleurira dans cent ans l’invincible beauté
Que vous ne serez plus qu’une cendre stérile,

Où de froids historiens viendront fouiller un jour
Sans pouvoir retrouver votre âme ardente et pure.
Vous n’êtes plus. Vous n’êtes plus. En vain l’amour
Veut vous faire à chacun un monument qui dure.

Des lauriers immortels quelques fronts seront ceints.
Mais pour un Guynemer combien de fantassins
Qui n’auront, pour garder leur nom et leur mémoire,
Qu’un livret matricule au fond d’un répertoire.

En vain une légende ira les nimber tous
D’une trop large et trop uniforme auréole.
Mais toi mon frère et vous pauvres morts sans parole
Qui donc dira vos cœurs et tout ce qui fut vous !

Hélas, qui donc dira ce que vous pouviez être.
Chaque homme porte en lui comme un secret puissant
Chaque jour il le cherche en son cœur frémissant.
Mais vous – vous n’eûtes pas le temps de vous connaître.

Jeunes gens, épis verts et livrés à la faux,
Je voudrais tout savoir de votre courte vie,
De votre âme si jeune à la gloire asservie :
Vos amours, vos vertus et jusqu’à vos défauts.

 

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