Pionnier de la Résistance. Le réseau Grenier-Godard (1940-1942) (page 2/6)
Un réseau pionner de la Résistance

 

 

Les premiers engagements dès septembre 1939

 

Dès la déclaration de guerre en septembre 1939, Blanche Grenier-Godard s’engage
comme infi rmière militaire.
Elle est affectée à l’hôpital auxiliaire installé dans les locaux du collège technique
Hippolyte Fontaine, situé à 5 minutes à pied de son domicile. Cet hôpital
de 500 lits, qui dépend du service de santé des armées, est installé dans l’internat
et une partie de l’externat. Son travail l’amène à faire la connaissance
de soldats blessés durant la Débâcle, ceux qu’elle appelle « ses protégés
». Plus tard, ils sont pour certains intégrés au réseau et, après être
retournés dans leur foyer, servent de relais et de refuge dans leurs
villes respectives.
Alphonse est mobilisé à la 8e section de Commis et d’Ouvriers
Militaires d’Administration (COMA) à Nuit-sous-
Ravières (Yonne) le 2 septembre 1939, puis renvoyé
dans ses foyers le 29 octobre 1939. Certains de ses
camarades s’impliqueront dans les actions menées
par Blanche durant l’Occupation.

Dès la déclaration de guerre en septembre 1939, Blanche Grenier-Godard s’engage comme infirmière militaire. Elle est affectée à l’hôpital auxiliaire installé dans les locaux du collège technique Hippolyte Fontaine, situé à 5 minutes à pied de son domicile. Cet hôpital de 500 lits, qui dépend du service de santé des armées, est installé dans l’internat et une partie de l’externat. Son travail l’amène à faire la connaissance de soldats blessés durant la Débâcle, ceux qu’elle appelle « ses protégés». Plus tard, ils sont pour certains intégrés au réseau et, après être retournés dans leur foyer, servent de relais et de refuge dans leurs villes respectives. Alphonse est mobilisé à la 8e section de Commis et d’Ouvriers Militaires d’Administration (COMA) à Nuit-sous-Ravières (Yonne) le 2 septembre 1939, puis renvoyé dans ses foyers le 29 octobre 1939. Certains de ses camarades s’impliqueront dans les actions menées par Blanche durant l’Occupation.

 

 

Affiche placaradée sur les murs de Dijon (juin 1940)

ADCO, 6 J 227

 

 


 

 

Carte des unités de la Geheime Feldpolizei (1940)

Archives nationales, AJ 40 926

 

 


 

Organigramme de la Geheime Feldpolizei, région de Dijon (1940)

Archives nationales, AJ 40 926

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Dijon, ville occupée

Le lundi 17 juin 1940, les premières unités allemandes atteignent Dijon, une ville quasi déserte, car depuis deux jours la population civile a été invitée à évacuer et, le matin même, la garnison a achevé son repli. Les centres vitaux sont immédiatement occupés par les troupes allemandes : poste centrale, gares, installations militaires (les nombreuses casernes et la base aérienne de Longvic), établissements sanitaires, les principales usines (Terrot, fabriquant de motos et de bicyclettes, Pétolat, spécialisé dans la fabrication de matériel de chemin de fer et tramway et matériel de voie étroite, et la biscuiterie Pernot) et les lieux d’enseignement (Facultés, Lycées). Ce même jour, le maréchal Pétain adresse un message radiodiffusé dans lequel il demande aux Français de « cesser le combat » et les informe qu’il a engagé des négociations avec « l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher […] après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités », autrement dit de conclure un armistice. Le 22 juin à Rethondes, les plénipotentiaires français conduits par le général Huntziger signent la Convention d’armistice. Les Grenier-Godard sont, durant ces heures tragiques, demeurés à Dijon. Jean assiste à l’arrivée des troupes allemandes. Il était allé voir son père qui est infirmier à « l’Asile départemental d’aliénés » (Centre hospitalier spécialisé de la Chartreuse). De nombreux services allemands s’installent à Dijon et dans le département en raison de la situation de carrefour de la capitale bourguignonne. Dijon est le siège de la Feldkommandantur 599 (puis 669). Elle est installée au Palais de Justice et possède 4 annexes en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire occupée : Beaune, Autun, Chalon-sur-Saône et Montbard. Elle a pour mission de contrôler les territoires sous sa juridiction, d’y maintenir l’ordre, d’y assurer l’exploitation des ressources économiques et d’exercer la police et la justice. Un tribunal militaire lui est rattaché. Il est situé 3, rue du Lycée et a une antenne à Chalon-sur-Saône. Montbard et Beaune, les deux souspréfectures, sont dotées d’une Kreisskommandantur (à partir de mai 1942 elles deviennent une antenne de la FK). Dijon a aussi été choisie pour être le siège du Bezirk C dont le territoire s’étend sur une quinzaine de départements du nord-est de la France. Il s’agit d’une circonscription ou d’un district d’administration militaire. Ses services sont situés à deux adresses : 32, rue de Talant et 22, boulevard de Brosses. La population dijonnaise peut voir de nombreuses affiches l’invitant à s’abstenir « de résistance passive ou même active contre l’armée allemande ».

 

 

 

 

 

Officiers allemands devant l'hôtel de la Cloche (1940)

ADCO, 6 J 269

 

 


 

 

Soldats allemands devant la caserne Vaillant (1940)

ADCO, 6 J 269

 

 


 

 

Feldkommandantur dans les locaux du Palais de Justice (1940)

ADCO, 6 J 269

 

 


 

 

Panneaux en allemand rédigés en lettre noires sur fond blanc (1940)

ADCO, 6 J 269

 

 

 


 

 

Les services chargés spécifiquement de le répression sont protéiformes

Il faut distinguer en premier lieu la Geheime Feldpolizei (GFP), une police militaire, instrument principal de répression de 1940 à 1942. Moins connue et souvent confondue avec la Gestapo, cette police secrète de l’armée est communément appelée la « Gestapo de la Wehrmacht ». Elle est chargée de la lutte contre les menaces à l’encontre de l’armée d’occupation. La GFP est donc très active contre les réseaux d’espionnage, de sabotage ou d’évasion de la Résistance, et coopère avec l’Abwehr, le service de renseignement militaire. Ses hommes sont soit des policiers de métier issus le plus souvent de la police criminelle, soit des hommes mobilisés qui reçoivent une formation préalable. La GFP déploie trois groupes dans le Bezirk C : le groupe 627 basé à Troyes avec deux annexes à Nevers et Chaumont ; le groupe 30 installé à Nancy avec trois annexes : Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc et Épinal ; le groupe de Dijon compte aussi trois annexes : Besançon, Belfort et Moulins. Hermann Herold dirige l’ensemble du service depuis décembre 1940, en tant que Leidenter Feldpolizeidirektor. La seconde force de répression est constituée par les groupes de la Feldgendarmerie qui comprennent 7 détachements, y compris pour la Saône-et-Loire occupée : deux à Dijon, un à Beaune, à Montbard, à Chalon, à Autun et à Paray-le-Monial. Ils se composent chacun d’une vingtaine de membres. En second lieu, on trouve à Dijon, les services de la Sicherheitspolizei (SIPO) associée au Sicherheitsdienst ( SD ou service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS). Ils sont installés au 9, rue Docteur Chaussier et ont une annexe située 10, boulevard Carnot. Une trentaine d’agents, sans compter leurs auxiliaires français, en font partie. La SIPO-SD intègre les groupes de la GFP au printemps 1942. Enfin, l’Abwehr (renseignements) a une antenne à Dijon très importante. Les agents allemands viennent de Stuttgart et la liste faite à la Libération recense au moins 70 personnes, des hommes (55) et des femmes (15). Les services sont principalement basés à deux adresses : 28, rue Pasteur et 9, boulevard Carnot. Il faut y ajouter des appartements et maisons disséminées dans Dijon (rue de Fontaine, rue de Montmartre par exemple). Ce service allemand procède rapidement au recrutement d’agents français.

 

Affiches devant être placées sur les vitrines des magasins et des entreprises dont les propriétaires, désignés comme juifs par Vichy et les autorités d'occupation, sont remplacés par des administrateurs provisoires (automne 1940)

ADCO, 1090W 38

 


 

Les prisonniers de guerre en Côte-d’Or

Pendant la campagne de France (mai-juin 1940), 1 800 000 soldats français ont été capturés par les troupes allemandes avant d’être internés dans différents types de camps. On peut en distinguer trois sortes : les Frontstalags, camps installés dans la France occupée d’où les prisonniers sont transférés en Allemagne dès juillet 1940 (sauf la plupart des soldats français d’outre-mer qui y demeurèrent), et les camps établis sur le territoire du Reich allemand qui se divisent en deux catégories : les Oflags (camps d’officiers) et les Stalags (camps de sous-officiers et de soldats). Il existe 3 Frontstalags en Côte-d’Or en juin 1940. Ils sont situés à Longvic, Beaune et à Massène près de Semur-en Auxois. Le Frontstalag 155, installé sur la base aérienne de Longvic, est le plus important. Plusieurs témoignages font état de la présence de 35 000 à 40 000 soldats à Longvic dont de nombreux soldats coloniaux durant l’été 1940. Les milliers de prisonniers sont parqués dans les casernements du camp d’aviation, mais les locaux ne sont pas dimensionnés pour recevoir autant d’hommes. Les conditions dans le camp sont très difficiles. Jean-Pierre Blanc, prisonnier faisant fonction d’aumônier adjoint du camp, témoigne de la dureté de la détention en ces termes : « Au cours des mois de juin, juillet, août 1940, nous étions environ 45 000 prisonniers de guerre entassés dans le camp d’aviation manquant de tout et vivant dans une promiscuité abjecte ». Le terrain est clos de murs et ne dispose que d’une entrée au niveau du poste de garde. Trois miradors ont été installés et des sentinelles patrouillent à l’extérieur le long du mur d’enceinte. Des Françaises et Français, de Dijon et d’ailleurs, vont toutefois se rendre au camp pour avoir des informations de soldats dont ils n’ont aucune nouvelle, mais aussi pour ravitailler les nombreux militaires présents. Parmi eux, une organisation officielle, la Croix-Rouge de Dijon, et des familles. Jean se souvient des voyages quotidiens en charrette à bras, chargée de pains et de ravitaillement donnés par des boulangers et commerçants du quartier Saint-Michel, accompagné par sa mère et son frère. On peut citer par exemple la boulangerie Boirinsise au 7, rue Saumaise.

 

 

Prisonniers de guerre français, notamment des troupes coloniales au Frontstalag I55 (été 1940)

ADCO, 8 Fi
Association des Anciens et Amis de la BA 102

 

 


 

 

Plan de la base aérienne 102 de Dijon-Longvic (date inconnue)

ADCO, 8 Fi
Association des Anciens et Amis de la BA 102

 

 


 

Façade Hôpital général de Dijon (début XXe siècle)

ADCO, 9 Fi 21231-1507

 

 


 

Pierre Bongain et Jean Louvier à Saffloz (1942)

Archives privées famille Louvier

 

 


 

Les évasions : mode d’emploi

Les premières évasions réussies du camp de Longvic avec la complicité des Grenier-Godard surviennent le 20 juin.


Les relais de Blanche dans le camp de prisonniers

Blanche explique avoir eu « 6 hommes de confiance » à Longvic dès juillet 1940. Ils lui servent de relais pour identifier les militaires désireux de ne pas partir en Allemagne et prêts à prendre des risques. Parmi eux, quatre ont pu être identifiés : Jean Lastennet, Joseph Jacquet, Marcel Rossignol et Bernard Régnier. Régnier est né en 1904 à Septfonds (Yonne, commune de Saint-Fargeau). Dans le civil, il est employé dans la presse parisienne. Il a été mobilisé dans la même section qu’Alphonse Grenier-Godard, la 8e COMA, à Nuits-sous-Ravières en septembre 1939, section commandée par Étienne Vernhes, avocat au barreau de Paris dans le civil. Fait prisonnier le 18 juin à Chalon-sur-Saône, avec son groupe, Régnier est transféré à la caserne Heudelet à Dijon, puis au Frontstalag 155. Marcel Rossignol est parisien et agent d’assurances dans le civil. Sous-officier, il a servi dans la même section que Régnier. Tous les deux fournissent aux candidats à l’évasion des renseignements et les vêtements civils apportés par Blanche et ses fils. Ils transmettent aussi le courrier clandestin. On perçoit à travers cet exemple comment les liens créés après la mobilisation de septembre 1939 sont maintenus en captivité et servent de déclencheur pour l’engagement et les évasions. Le troisième relais de Blanche est Joseph Jacquet. Capitaine de réserve, il est dans le civil professeur de géographie de René à Saint-François. Il a aidé Blanche à pénétrer dans le camp, et lui a servi d’appui pour des évasions, jusqu’à son transfert en Allemagne dans l’Oflag XVIII-A situé à Lienz/Drau dans le Tyrol en Autriche. Enfin, Jean Lastennet, employé de banque à Alfortville, est fait prisonnier le 18 juin aux environs de Chalon-sur-Saône. Interné au camp de Longvic, il explique qu’il a fait « une résistance très limitée » quand il a « aidé des camarades à s’évader du camp de PG de Longvic- Dijon après contact avec une infirmière, Mme Grenier-Godard, ceci en juillet début août 1940 ». Il participe à cette aide jusqu’à son départ en Allemagne le 10 août pour le Stalag XVII-B. Après son rapatriement sanitaire fin décembre 1940, il rejoint le mouvement communiste Front national et s’engage dans les groupes de défense du Parti communiste, dénommés OS (pour Organisation spéciale), futurs Francs-tireurs et partisans.


La fuite par les égouts

Les candidats à l’évasion passent par un égout qui relie le camp au canal. Celui-ci fait plusieurs centaines de mètres. Blanche a récupéré les plans du camp et de ses égouts par un complice travaillant à la mairie. Les fugitifs revêtent ensuite des vêtements civils et peuvent alors partiellement échapper à la surveillance des sentinelles car les blés non moissonnés constituent une sorte de paravent. Ils attendent ensuite la tombée de la nuit pour aller à pied rue Saumaise au domicile des Grenier-Godard, guidés par Blanche ou René.


L’hospitalisation : un prétexte pour s’évader

Une aile de l’hôpital général, celle qui est située à gauche de la chapelle en entrant, est réquisitionnée par les autorités d’Occupation pour accueillir les prisonniers français nécessitant une hospitalisation. L’aile droite reste dévolue aux hospitalisations de civils. Blanche dispose de relais dans le personnel et place un jeune de confi ance, Jean Louvier. Parmi le personnel travaillant avec Blanche, Léa Génin a pu être identifiée avec certitude. Elle a obtenu son diplôme d’état d’infirmière hospitalière en avril 1932. Odette Carabelli, infirmière rattachée au réseau très proche de Blanche, est aussi employée au même endroit.


Une technique simple est utilisée pour faire évader les prisonniers.

Le rôle de Jean Louvier est primordial. Né à Lille en 1928, c’est un très jeune garçon au début de l’Occupation. Ses parents, Edmond et Jeanne Louvier, travaillent pour la Cordonnerie industrielle dans le Nord. Ils ont été nommés à Dijon au printemps 1939. Son père est responsable de l’Atelier central qui assure toutes les réparations, situé rue Jules Mercier. Sa mère gère un des trois magasins, celui de la rue Musette. Durant l’été 1940, Jean a été engagé pour de menus travaux à l’Hôpital général. Blanche est cliente à la cordonnerie de ses parents et c’est elle qui a pris l’initiative de cet engagement après avoir obtenu l’accord de ses parents. Il est à l’initiative d’évasions depuis l’Hôpital général. Le stratagème mis au point est le suivant : il apporte des vêtements civils cachés dans un sac. Il les dissimule via la partie du bâtiment réservée aux civils dans une stalle de la chapelle. Il ne reste plus au candidat à l’évasion qu’à se rendre à la chapelle, troquer ses vêtements militaires contre les habits civils, puis sortir discrètement. Jean se rappelle « son premier évadé » : Pierre Bongain, curé de Saffloz (Jura, zone non occupée en 1940).


 

 

Plan de son évasion établi par Marcel Soulier (février 1951)

ADCO, 6 J 349

 


 

 

Photographie d'identité, Jean Lastenet

Service historique de la Défense, Vincennes
I6 P 340833

 

 

 


 

 

Plan de Dijon-centre (1937)

ADCO, 69 J 101

 

 


 

 

 

Le rôle essentiel des communautés religieuses du quartier Saint-Michel

Il s’agit tout d’abord des Soeurs du Bon Secours basées rue Berbisey. La maison-mère est à Troyes. La congrégation a été fondée en 1840. Ce sont des infirmières et des aides familiales. Leur maison faisait fonction dans les années 1930 d’orphelinat, de dispensaire, de soupe populaire et les religieuses assuraient les soins des malades à domicile. Léa Mottin (soeur Anne-Julienne en religion), née en Belgique à Hannut près de Liège, est la Supérieure. La communauté compte aussi une religieuse d’origine anglaise, Soeur Wénéfride. Elles fournissent, dès juillet 1940, du ravitaillement pour le camp de Longvic, puis nourrissent les évadés, leur donnent des vêtements et en hébergent parfois dans leurs dépendances. Blanche estime à plusieurs centaines le nombre d’hommes aidés par ce petit groupe de religieuses. Les deux autres communautés, les Petites soeurs dominicaines créées en 1879 et les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul appelée Maison Saint-Michel, fondée en 1698, sont domiciliées rue Saumaise. Ce sont aussi des religieuses hospitalières qui vont prodiguer nourriture, soins, habits et hébergement aux évadés.

 

Les faux papiers

Les évadés qui ont été nourris, soignés, habillés, logés n’ont pas d’existence légale. Ce sont des hommes en fuite, qui, s’ils sont découverts, seront envoyés en Allemagne. De faux papiers sont indispensables pour pouvoir quitter les planques. Les Grenier-Godard en fabriquent car ils ont récupéré des tampons via des complicités ou par hasard. Blanche explique comment : « J’ai pu avoir quatre (sic) cachets : un contrôle vétérinaire, trouvé sur les routes ; cela était rond, cela suffisait, brouillant les lettres, cela allait. Un autre de l’aviation cédé par le maire de Marsannay-la-Côte ainsi qu’un autre d’un pays imaginaire du Loiret ». Pour des raisons de sécurité, ils ne les conservent pas toujours à leur domicile. Des familles s’en chargent. Ainsi par exemple, Jean Vigneron a pour principale mission d’emporter chez sa mère les documents compromettants « en cas d’alerte ». Il s’agit des tampons, cartes, plans, rapports, livrets militaires, photos et plis secrets. La famille Robinet, résidant 92, rue du Faubourg- Raines, est aussi dépositaire de livrets militaires, cachets, courriers secrets, doubles de rapports et de plans. Julien Robinet, détenteur de la croix de Guerre, cache au domicile familial des armes et la « bibliothèque clandestine (sic) ».

 

 

 

Cinquantenaire des Petites Soeurs dominicaines garde-malades des pauvres de Dijon (1937)

Archives diocésaines de Dijon, 3 R D1

 

 

 


 

 

 

Sortie de messe à Saint-Michel avec une sœur de Saint-Vincent-de-Paul
(début XXe siècle)

ADCO, 9Fi 21231 2803

 

 


 

 

 

 

 

Brassards infirmière de Blanche Grenier-Godard (1939)

Archives privées famille Grenier-Godard

 

 

 


 

Attestation établie par le docteur Blanc (1945)

ADCO, 6 J 351

 


 

 

Blanche infirmière (1939)

Archives privées famille Matrot

 

 

 


 

 

Brochure de présentation des Soeurs du Bon Secours (1937)

Archives diocésaines de Dijon, 3 R B 5

 

 

 


 

Un réseau familial et de quartier

Toute la famille Grenier-Godard est impliquée dès juin 1940 pour venir en aide à ceux que Blanche appelle « ses protégés ». Si Blanche et René sont les éléments moteurs, Jean et Alphonse jouent aussi un rôle, moindre, mais néanmoins précieux. En 1940, âgé de 11 ans, Jean fait le coursier et le messager. Alphonse « monte une garde vigilante dans la maison et autour des lieux » . Leur maison est modeste ainsi que leurs moyens financiers. Cécile Grenier et sa fille Marcelle âgée de 11 ans, filleule de Blanche, apportent une aide concrète. Cécile s’occupe du blanchissage des évadés, « ce qui n’était pas une petite affaire », comme elle l’écrit après la Libération, et en héberge régulièrement à leur domicile, rue Neuve Bergère. La jeune Marcelle aide à préparer la cuisine et conduit les évadés dans les cachettes, maisons ou hôtels qui lui sont désignés. Blanche va mobiliser son réseau de sociabilité et les commerçants de son environnement proche pour pourvoir aux besoins des hommes évadés. Elle déploie une énergie considérable et révèle dans l’adversité des talents d’organisatrice hors pair. Plusieurs dizaines de familles du quartier Saint-Michel sont mises à contribution. Blanche s’approvisionne en pain pour les évadés auprès des boulangeries Boirin, rue Saumaise, et Pagot, rue Audra. Le pain est donné gratuitement, puis sans ticket. La maison Boudias, place du Théâtre, à moins de 5 minutes à pied de chez les Grenier-Godard, fournit biscuits, chocolat et pain d’épices, sans ticket également. Deux épiciers de la rue Jeannin, rue perpendiculaire à la rue Saumaise, Julien Musard et André Couqueberg, gérant d’un Comptoir de Bourgogne, ravitaillent les évadés en légumes, épicerie et vin. Plus tard, le couple Verdin, gérants aussi d’un Comptoir de Bourgogne, fournit du ravitaillement et des vêtements sans ticket. Suzanne Ponnavoye, propriétaire d’une crèmerie voisine de l’épicerie Couqueberg, procure des produits gracieusement, ou du moins sans ticket. La femme d’Émile Soligny, boucher rue Saumaise, donne de la viande pour ravitailler le camp de Longvic puis pour les évadés, le plus souvent sans ticket. Louis Glière, chef d’atelier à la manufacture des Tabacs, résidant rue Berlier, rue parallèle à la rue Saumaise, fournit du tabac. Pour assurer la nourriture des nombreux évadés, trois cafés-restaurants du quartier sont aussi mobilisés : le café Mignon 3, rue Lammonoye, le café Casson 44, rue Saumaise, le restaurant « chez Agnès » tenu par Agnès Gwose, une Polonaise, 70, rue Vannerie.

 

Fausses pièces d'identité fabriquées par le réseau (1941)

Archives privées famille Darcis

 

 

 

 

 


 

 

 

Fiche de recensement de Roger Daltroff (1941)

ADCO, 1090W 36

 

 

 

 


 

 

 

Photographie Roger Daltroff (années 1930)

Archives privées famille Beurtheret-Daltroff

 

 

 


 


Paul et André Franck, ainsi que leurs épouses, propriétaires du magasin de confection 34 & 36, rue Piron, « A Pygmalion, les fils de S. Franck », fournissent des vêtements civils dès les premières évasions. Les Franck organisent cet échange de vêtements entre 12 et 14 h afin que le personnel n’en sache rien, ce qui évite ainsi toute indiscrétion compromettante. Paul Franck se charge ensuite de brûler les effets militaires. Son épouse Germaine est très impliquée et son fils Roger se rappelle qu’elle prend l’initiative d’apporter des vêtements civils directement au Frontstalag 155. Edmond Franck, directeur du magasin « Maison du tissu », 4, rue Bossuet, et son épouse Lucie sont aussi actifs pour habiller les évadés. (Jeanne) Louise Castille teint quant à elle gratuitement les vêtements militaires qui lui sont apportés par Blanche ou ses jeunes commissionnaires. C’est une autre façon de pallier le manque de vêtements civils. En ce qui concerne les chaussures, Madeleine et Georges Prenel, gérants du magasin André situé rue de la Liberté, en fournissent de nombreuses paires. Deux de leurs vendeuses, Raymonde Veuillien et Elina Reinex, sont aussi impliquées. Blanche peut compter tout d’abord sur l’aide de sa voisine la plus proche. Élisabeth Dubrez prend sa part pour l’hébergement des évadés. Le couple Prenel cache aussi des prisonniers dans leur logement au-dessus du magasin André, ce qui n’est pas sans danger. D’autres couples accueillent des évadés à leur domicile : Lucienne et René Lévy qui résident 3, boulevard de Brosses, Roger et Marie- Joséphine Daltroff demeurant rue Garibaldi, Blanche et Paul Montenot. Ces derniers habitent 40, rue Jean-Baptiste Baudin, juste à côté de l’hôpital auxiliaire Hippolyte Fontaine. Le foyer d’Edmond et Lucie Franck, 14, rue des Roses, est aussi un lieu d’accueil, même si plusieurs logements ont été réquisitionnés dans leur immeuble pour des officiers allemands.

 

Façade cordonnerie Louvier rue Musette (années 1940)

Archives privées famille Louvier

 

 

 

 


 

Façade magasin de la famille Franck A Pygmalion (1938)

Archives privées famille Franck

 

 


 

Germaine et Paul Franck (années 1930)

Archives privées famille Franck

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Devanture du magasin André (années 1930)

Archives privées, famille Chazal

 

 


 

 

 

Chaise et objets du magasin André (années 1930-1940)

Archives privées, famille Chazal

 

 


 

 

Georges et Madeleine Prenel (années 1940)

Archives privées, famille Chazal

 

 


 

 

Carte de la France occupée avec le tracé de la ligne de démarcation (1941)

ADCO, W 24304

 

 



« La phalange » de Blanche Grenier-Godard à Perrigny

Des flux de prisonniers très importants


« Je tiens à rendre hommage à cette phalange, les employés du PLM qui ont donné une si grande part au travail clandestin et surtout dès le début ». Ainsi s’exprime Blanche lorsqu’elle écrit les attestations pour les cheminots du dépôt de Perrigny à la fin des années 1940. Elle a beaucoup d’admiration pour tous ces hommes avec qui elle a travaillé étroitement ; et ce respect est réciproque. Les évadés viennent durant les premières semaines et les premiers mois du camp de Longvic et des lieux de détentions dans les nombreuses casernes disséminées dans Dijon principalement mais, rapidement, ils arrivent aussi dans des trains venant de l’Est de la France et, à partir de l’hiver 1940-1941, des camps de prisonniers répartis sur tout le territoire allemand via plusieurs agents du Jura et du Territoire de Belfort. Les relais dans le Jura, le Doubs et le Territoire de Belfort 4 femmes doivent être mises à l’honneur : Son contact principal dans le Jura est Blanche Saillard qui habite une ferme à Port- Lesney située près de Mouchard, à moins de dix kilomètres de la ligne de démarcation. Blanche Grenier-Godard est aussi en relation avec Marie Barré. Celle-ci réside à Villette-lès-Dole, petite commune située à quatre kilomètres de la zone non occupée. Elle accueille chez elle, malgré sa situation matérielle modeste, plusieurs centaines de prisonniers évadés. Dans le Doubs, le relais est assuré par Raymonde Pierru. Bisontine, elle habite près de la caserne Ruty et de l’hôpital Saint-Jacques, lieux de détention de prisonniers de guerre français et belges. Elle travaille à l’Office des victimes de guerre. Active dans l’aide apportée aux prisonniers de guerre internés dans les casernes de sa ville dès juin 1940, elle accueille chez elle des évadés, leur fournit des vêtements civils et des faux papiers et les dirige ensuite vers la zone non occupée, soit par Champagnole (Jura), soit par Dijon-Perrigny. À Belfort, Domenica Compagnoni, tisserande, est contactée dès 1941 par un Mulhousien pour accueillir des évadés et des Alsaciens désirant échapper au Reichsarbeitsdienst, le Service du travail d’État. Elle assure leur passage en zone Sud ou alors les aiguille avec l’aide de cheminots locaux, tels Marcel Brun, sur des wagons en partance pour Dijon ou Perrigny. Les évadés sont alors pris en charge par le réseau Grenier- Godard. Le dépôt SNCF de Perrigny est un lieu névralgique.

 

Le rôle central d’Albert Sire

Albert Sire est né à Rouvres-en-Plaine en 1905. Ses parents sont ouvriers agricoles. Il exerce le même métier jusqu’à son service militaire. Il épouse Henriette Robinet en 1928 et intègre la Compagnie du chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée (PLM). Il est aiguilleur au poste B de Perrigny. Dès août 1940, il prend l’initiative de faire « passer la zone » aux prisonniers évadés en les cachant dans des wagons. En septembre, il est contacté par Blanche et René. Jeannette Caballero les a mis en relation. Des liens amicaux, quasi fraternels, les lient car Sire appelle René son « meilleur ami ». Blanche écrit en 1948 « qu’elle a pour Sire la plus grande estime pour son aide et son complet désintéressement ». Il agrège et fédère alors autour de lui les autres cheminots. Albert Sire est toujours présenté par ses camarades comme étant un élément prépondérant dans le groupe de résistance de Perrigny. On recense dans le réseau Grenier-Godard une trentaine d’agents de la SNCF.


Le mode opératoire

Le domicile familial des Grenier-Godard, 43, rue Saumaise, est le point de ralliement. René et Jean emmènent les soldats français hébergés chez eux et dans leur quartier jusqu’à Perrigny, « presque tous les soirs » d’après le témoignage de Robert Bouzereau et du gendarme Roger Lalande. La distance fait environ 4 kilomètres. Jean explique comment le trajet s’effectue : « Ma mère me disait, il y en avait 4 ou 5 ou 6 ou 8 ou 10 qui étaient venus dans la journée ou dans la nuit qui attendaient à la maison. Elle me disait tu les emmènes à Perrigny directement à l’entrepôt ; je sortais ; je leur disais bon bien tu me suis et puis ils me suivaient ; je partais devant de 10 mètres […] et ils me suivaient de loin. […] on mettait un moment pour y aller. […] Je passais dans des petites rues pour être tranquille. […] Je savais pertinemment qu’il fallait que je ne pose pas de question, que j’aille les amener à tel endroit ». Si Jean les dépose à une entrée discrète, « un portillon du dépôt », après un long trajet à pied, René se fait passer pour un agent de la SNCF et accompagne les hommes à l’intérieur. Les évadés sont pris en charge par des cheminots. Ensuite, il faut les héberger dans les baraques des cheminots, les nourrir, les chauffer et calmer leur anxiété en attendant le départ. Puis ils sont embarqués dans des wagons de marchandises dans lesquels les cheminots ont aménagé des cachettes. Les trains choisis sont à destination de Seurre, de Saint-Jean-de-Losne ou de Chalon-sur-Saône, selon Jacques Noujarret et Gaston Séron. En ce qui concerne le second flux, celui qui vient de l’Est, les évadés qui arrivent sont souvent en uniforme. Ils n’ont rien mangé depuis plusieurs jours. Les cheminots partagent leur repas avec eux ; ensuite il s’agit de les camoufler.

 

 

 

Rotonde du dépôt de Perrigny-les-Dijon

Éric Cinotti

 

 


 

 

Membres de "la phalange" de Perrigny (années 1940)

ADCO, 6 J 348-349

 

 

 

 


 

 

Photographie Albert Sire (1940)

Archives privées, famille Sire

 

 


 

 

Photographie Georges Buret (1942)

Archives privées famille Buret

 

 


 

L’engagement de la brigade de gendarmerie de Gevrey-Chambertin


La brigade de gendarmerie de Gevrey-Chambertin participe pleinement à cette chaîne d’évasions. Il s’agit d’une petite brigade de 4 ou 5 hommes sous l’autorité d’un maréchal des logis. Plusieurs membres de la brigade sont détachés périodiquement au dépôt SNCF de Perrigny-lès-Dijon pour assurer la surveillance des voies ferrées, du matériel ferroviaire et des installations. Ce service consiste en des patrouilles de jour comme de nuit en vue de prévenir les attentats commis sur les voies, les ateliers et le dépôt des machines. Six gendarmes ont été identifi és : Marius Ducret, Roger Lalande, Louis Seurre, Marius Petit, Alfred Blondel et Jean Borot. Les cinq premiers ont un dossier dans le fonds Grenier-Godard de Dijon, le 6e est cité par ses camarades. On peut parler, en ce qui les concerne, de « gendarmes résistants » dès 1941. Ils ont tous en commun d’avoir combattu durant la campagne de France. Quatre gendarmes, Seurre, Petit, Ducret et Borot, ont été en captivité en Allemagne et sont libérés en 1941. Lalande, engagé le plus précocement dans cette action, dès janvier 1941, explique le modus operandi une fois les prisonniers emmenés au dépôt de Perrigny par Jean ou René : « Après identification des dites personnes dans un local des dépôts où nous étions stationnés, identifi cation très serrée afi n de nous réserver une liberté d’action, et déjouer les embuscades qui nous étaient tendues par la Gestapo. Je les conduisais, au cours d’une patrouille de nuit, sur les lieux d’embarquement prévus chaque nuit à 0 h. Là, ces personnes étaient camoufl ées dans un poste d’aiguillage jusqu’à l’arrivée du train et gardées par d’autres agents pendant que j’assurais une surveillance discrète des lieux. À l’heure « H », elles étaient embarquées. Personnellement, mon rôle, au moment de l’embarquement, était d’attirer la ou les patrouilles allemandes vers un point déterminé garantissant toute sécurité aux agents en opération. Les wagons étaient alors déplombés et les passagers clandestins camoufl és, parfois même enfermés dans les caisses. […] En principe, nous agissions sous le couvert de l’anonymat afi n d’éviter les représailles de la Gestapo et coopérer à la bonne marche des opérations. Je ne connaissais que Madame Grenier-Godard comme chef et ses fils ». Louis Seurre, libéré de captivité durant le premier semestre 1941, apporte quelques compléments : « Je guidais et conduisais à l’embarquement tous les soirs 25 à 30 hommes. Tout cela se passait au nez des Allemands qui paraissaient avoir confi ance en nous. Je connaissais en ce moment-là monsieur et madame Frilley du café rue des Rotondes à Dijon, Sire Albert aiguilleur au poste B, Monsieur Gauthier qui a été fusillé. […] je ne connaissais pas le nom du fils Grenier-Godard mais ce dernier était toujours parmi nous et nous lui facilitions beaucoup la tâche en le faisant passer pour un agent de la SNCF »

 

 

 

Louis Seurre prisonnier de guerre (1940)

Archives privées famille Seurre

 

 


 

 

Louis Seurre gendarme à Gevrey-Chambertin (années 1940)

Archives privées famille Seurre

 

 



Gendarmerie Gevrey-Chambertin (années 1930)

Le Canton de Gevrey-Chambertin, Jean-François Bazin

 

 


 

 

Portrait de la famille Bansac (1936)

Archives privées famille Borne-Bansac

 

 


 

 

Portrait Joseph-Élie Bansac (années 1930)

Archives privées famille Borne-Bansac

 

 



Devanture Teinturerie Bansac (années 1940)

Archives privées famille Borne-Bansac

 

 


 

« Il en coûte quelquefois pour faire son devoir mais il ne faut pas se décourager ».

Cette phrase écrite sur un cahier d’écolier par Blanche Grenard, une petite fille de 11 ans alors en cours moyen à l’école primaire du village des Moussières, commune du Haut-Jura, a sans conteste inspiré son engagement à partir de juin 1940 dans la Résistance et son inlassable activité jusqu’à son arrestation en juillet 1942. Son courage, son dévouement et son patriotisme lui ont permis de survivre à 31 mois de captivité, puis lui ont donné la détermination nécessaire pour faire reconnaître après guerre l’engagement total, parfois jusqu’au sacrifice ultime, de tous les membres de son réseau.


 

 

Cahier d'écolière de Blanche (1911)

Archives privées famille Grenier-Godard

 

 


 

 

Devise du réseau (1940)

Archives privées famille Grenier-Godard

 

 

 

 

 

 


 

 

 

Les passeurs de Saône-et-Loire

Le réseau met en place une filière qui rejoint la zone non occupée grâce à l’action de deux équipes de passeurs originaires de Saône-et-Loire. Deux zones de passage depuis la zone occupée sont privilégiées : Montceau-les- Mines (Saône-et-Loire) et Seurre (Côte-d’Or). L’organisation possède des contacts et des agents de part et d’autre de la ligne de démarcation.

 

L’organisation des passages par Montceau-les-Mines vers Mont-Saint-Vincent

Blanche a pris contact fin 1940 et début 1941 avec plusieurs passeurs connaissant parfaitement la région de Montceau-les-Mines. Pour la plupart ils y sont nés et tous y résident. Ils sont neuf : Roger Binet, Joanny Laffaye, Antoine Bernard, Marcel Cognard, Edmé Gillot, Louis Gonnot, Louis Nardin, Claude Perriaud et Pierre Virot. Les deux plus jeunes sont Binet et Laffaye. Ils sont nés en 1914. Le plus âgé est Claude Perriaud, né en 1888. La moyenne d’âge du groupe est de 33 ans. Ils travaillent tous à la Société des Houillères de Blanzy et y exercent la profession de mineurs, à part Nardin qui est surveillant au service construction de la compagnie. Joanny Laffaye est « le chef de groupe » et dirige cette section locale. La ville de Montceau-les-Mines est située en zone occupée près de la ligne de démarcation. Elle est desservie par le train et l’autocar. L’organisation mise en place par Blanche est la suivante : Blanche ou René amènent plusieurs dizaines d’hommes par semaine. Parfois, selon le témoignage de Marcel Cognard, le passeur va chercher des hommes à Dijon voire à Paris. Le réseau dispose de plusieurs relais dans la région de Montceau-les-Mines avant le passage de la ligne. Au Creusot, ville située à 20 kilomètres au nord, Simon Mayol cache des hommes dans son café en attendant qu’ils prennent le car pour Montceau. À Montceau, la teinturerie de Jeanne Verdure rue Carnot, l’hôtel Central rue de la République dont Renée Cessey assure seule la direction (son mari étant prisonnier de guerre) et le presbytère du curé Augros sont trois lieux de regroupement. Renée Cessey assure le ravitaillement et le couchage dans son établissement avant le passage de la ligne. Jeanne Verdure a loué une maison située sur la ligne de démarcation. Elle a la particularité d’être moitié sur la zone occupée et moitié sur la zone non occupée. Cela facilite le passage de certains évadés. 

Les passeurs vont chercher dans les lieux de regroupement les hommes à passer. Ils assurent le passage des évadés mais aussi celui des agents secrets français, belges, anglais, serbes qui rejoignent ensuite l’Angleterre ou l’Afrique du Nord. Ils assurent aussi le transfert de plis secrets, plans et courriers. Chaque homme effectue trois à quatre passages par semaine. Après un convoyage, ils restent au repos en zone non occupée un ou deux jours. De l’autre côté de la ligne, à un kilomètre, la ferme de Jeanne et Jean- Louis Baudin, située au Moulin neuf sur le territoire de la commune de Gourdon, sert de relais pour faire reposer les hommes après leur passage. Jeanne Baudin les ravitaille et les cache. La ferme sert aussi de gîte pour Blanche, connue sous le pseudo de Thérèse Martin, lors de ses passages. Elle y est logée et nourrie. Le couple estime à 3 000 le nombre de prisonniers passés chez eux de 1940 à 1942, le plus souvent envoyés ou accompagnés par Blanche, René, Louis Nardin ou Marcel Cognard

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L’organisation des passages par Seurre

Le garage de Charles Savignat, situé Faubourg Saint-Georges à Seurre, constitue un des deux relais principaux avant le passage de la ligne. Georges Savignat est un ancien combattant de la Grande Guerre. Blessé trois fois, il a obtenu deux citations et la croix de guerre lui a été décernée. Le contact avec le réseau a été établi par Blanche dès septembre 1940. Savignat raconte sa première rencontre avec Blanche : « En 1940, une dame est venue me demander sans se faire connaître si j’aurais la possibilité d’héberger des prisonniers de guerre désireux de se rendre en zone libre. Ne sachant à qui j’avais à faire, j’ai réservé ma réponse. Elle est revenue quelques heures après me déclinant cette fois son identité ». Il explique qu’il a alors accepté volontiers de l’aider dans cette mission. Il assure l’hébergement et la subsistance des prisonniers qui lui sont amenés. René se charge ensuite des passages par Mont-lès-Seurre pour rejoindre Navilly en zone non occupée. Les candidats au passage sont aussi souvent rassemblés à la ferme du Vieux Moulin à Longepierre. C’est le second lieu de rassemblement utilisé par le réseau et ses passeurs. La famille Guillemin y habite. Les parents, Marie et Paul, et leur fils aîné Lucien sont impliqués dans les passages. Marie Guillemin assure « l’intendance », nourrit et héberge les évadés.

 

 

Charles, Camille et Roger Savignat (début des années 1930)

Archives privées Claudie Savignat-Billaudot

 

 

 


 

 

 

Photographie du personnel devant le garage Savignat (années 1930?)

Archives privées Claudie Savignat-Billaudot

 

 


 

 

Charles Savignat enfant au volant d'une voiture (années 1900)

Archives privées Claudie Savignat-Billaudot

 


Auguste Desvarènes durant son service militaire (1939)

Archives privées famille Desvarènes

 

 

 


 

 

 

Roger Binet,  avec Paul Dessolin son chef au maquis d’Uchon (1945)

Archives privées Gérard Soufflet


 

 

Attestation de l'appartenance de Roger Binet au réseau Grenier-Godard (1951)

ADCO, 6 J 348

 

 

 


 

 

Les relais de la filière en zone non occupée

Après le passage de la ligne de démarcation, il faut démobiliser les hommes et, pour ceux qui le désirent, assurer leur passage en Espagne, en Afrique du Nord ou à Londres.

 

Lyon, rôle central

Dès juin 1940, Blanche a établi les premiers contacts à Lyon. Elle y rencontre, au moins une fois, le général André Duchemin, commandant le département du Rhône et la place de Lyon, après l’Armistice de 1940. André Duchemin, polytechnicien, officier d’artillerie durant la Grande Guerre, détenteur de la croix de guerre, est très proche du général Aubert Frère, un des fondateurs de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA). À Lyon, le relais est aussi assuré par trois anciens prisonniers ayant recouvré leur liberté grâce au réseau, désormais agents de liaison à Lyon. Marcel Rossignol, ancien prisonnier du camp de Longvic, est « l’homme de confiance » de Blanche, « son double ». Il travaille en relation avec le capitaine Jean Boutier. René Yzerd a été un des relais de Blanche dans le camp de l’Arsenal puis au camp de Longvic. Il s’est évadé en même temps que Rossignol.

 

Les autres relais en zone non occupée : Clermont-Ferrand, Amélie-les-Bains, Marseille

Une particularité du réseau Grenier-Godard, partagée par les autres filières, est que plusieurs évadés deviennent ensuite relais du réseau dont ils allongent la ligne. Bernard Régnier, un des hommes de confiance de Blanche dans le camp de Longvic, s’évade en janvier 1941. Il est démobilisé à Lyon le 15 janvier 1941 à la Vitriolerie. Il s’installe ensuite pour toute la durée de la guerre à Clermont-Ferrand tandis que son épouse demeure à Paris. Il réceptionne les hommes envoyés par Blanche qui sont désireux ensuite de se rendre dans le sud de la France pour franchir la frontière espagnole. Le réseau a un relais à Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales). Roger Daltroff, représentant de commerce dijonnais pleinement impliqué dans les activités du réseau depuis novembre 1940, s’y est réfugié en février 1942 . Il assure régulièrement des passages clandestins de la frontière espagnole. Simon Alami, prisonnier malade détenu à la caserne Vaillant à Dijon, réussit son évasion grâce au réseau en 1941. Il effectue sa convalescence chez les Grenier-Godard puis, une fois guéri, se met au service du réseau à Dijon. Il effectue des missions très diverses, allant de la réception au changement d’état civil et à l’accompagnement des évadés au triage de Perrigny. Après être passé en zone non occupée, il rentre chez lui à Marseille et continue à apporter au réseau son concours. Il reçoit chez lui les évadés et oriente les hommes désireux de rejoindre les Forces françaises libres.

 

 

 

Général André Duchemin (1940)

Archives privées famille Duchemin

 

 


Passage en revue des troupes avec en tête le général Duchemin (1941)

Archives privées famille Duchemin

 

 

 

 


 

 

Les autres activités du réseau

Aider les juifs persécutés Blanche est condamnée à mort le 3 avril 1944 par la tribunal de Breslau (Basse-Silésie) « pour avoir aidé dans plus de 100 cas des prisonniers de guerre évadés et des Juifs à passer la ligne de démarcation ». Cette preuve allemande est incontestable et démontre les risques pris par le réseau pour venir en aide aux juifs persécutés. D’autres témoignages de personnes sauvées confirment ce fait.

 

Fournir des renseignements

Au Creusot, Joseph Bansac, teinturier, transmet des renseignements « sur le trafic dans les usines du Creusot et les mouvements de matériels à la sortie ». À Dijon, jusqu’en juillet 1941, Blanche peut compter sur un agent travaillant à la maison d’arrêt, René Bourdon. Replié avec sa famille à Dijon en septembre 1939, il est nommé à la maison d’arrêt de Dijon le 1er février 1940. Il y exerce la fonction de surveillant commis greffier et est logé sur place avec son épouse Jeanne Bourdon, surveillante intérimaire, et leurs trois fils. En ce qui concerne son activité, Blanche explique que Bourdon a fait la liaison avec les détenus politiques et qu’il lui a fourni des renseignements grâce à « son emploi auprès des Allemands et à sa situation ». Bourdon a aussi favorisé des évasions. Afin de protéger la confidentialité de son courrier, Blanche pouvait compter sur Corentin Courtay, facteur du quartier Saint-Michel. Il parvint à soustraire du contrôle le courrier à mon adresse. Au fur et à mesure que se précisaient les doutes de l’occupant à l’égard de Blanche, Courtay dut avoir de plus en plus recours à la ruse et c’est ainsi qu’après un tri de son courrier, il ne remettait à la maison que celui dont le contrôle ne présentait aucun risque, ayant déposé auparavant tout l’autre [courrier] dans un kiosque à journaux où Blanche pouvait en prendre possession.

 

La connexion suisse

Blanche prend contact avec deux citoyens suisses habitant à Dijon : Jean-Marie Peiry et Roland Wuthier. Elle établit aussi une relation privilégiée avec Magdeleine Lefort (pseudo Iris noir), secrétaire au consulat suisse de Dijon, dès juillet 1940. Peiry est né à Treyvaux dans le canton de Fribourg. Wuthier est originaire de la Chaux-de-Fonds. Ils exercent respectivement le métier de coiffeur et de mécanicien-ajusteur. Wuthier est aussi en charge du courrier du consulat suisse. Magdeleine Lefort est née à Libourne (Gironde).


La connexion belge

Le réseau V 1200 Frédéricksen

Le réseau V 1200 Frédéricksen est dirigé par Félicien Van Dest, directeur de l’École coloniale de Liège. Il est intégré à un réseau plus vaste, le réseau Clarence. L’affiliation de Blanche à ce groupe est attestée par trois points essentiels : les dossiers établis par Blanche, le témoignage d’une camarade belge et un document destiné aux agents secrets de ce groupe. Dans les dossiers de Blanche on retrouve Félicien Van Dest alias Frédéricksen et le couple formé par Fernande et Marcel Beaufays. Mis en relation avec Van Dest, ils rédigent des rapports réguliers sur le trafic militaire et ferroviaire. Ils passent aussi des aviateurs et des évadés appelés « colis ». Victor Gara, un ami du couple, et Serge Darcis, fi ls de Fernande, sont les deux passeurs. Le premier relais en France est à Gognies-Chaussée, commune française frontalière. Le café de Maurice Guillaume, ancien combattant mutilé de la Première Guerre mondiale, est le point de ralliement. La ligne se poursuit ensuite jusqu’à Dijon, puis vers l’Espagne et le Portugal. Serge Darcis convoie les fonds pour Dijon et Paris. C’est Van Dest qui a établi le lien entre les Beaufays et les Grenier- Godard. 

 Des instructions précises données pour la rédaction des rapports 

 Chaque agent reçoit des éléments et instructions de la section V 1200 Frédéricksen afin d’écrire et de transmettre des informations fiables et le plus exhaustives possible dans les domaines militaires et économiques. Les agents doivent répondre à un questionnaire qui leur indique tous les points qui doivent retenir leur attention. Ils sont encouragés à noter tous les détails, à donner des informations les plus précises possible comme les lieux, les dates, les acteurs, à sourcer les photographies et à évaluer la pertinence des renseignements verbaux.

 

 

Corentin Courtay (3e en partant de la gauche) devant la poste Grangier (années 1950)

Archives privées Henri Courtay

 

 


 

 

Marcel Beaufays et Fernande Gordinne (1936)

Archives privées Patricia Darcis

 

 


 

 

Fanions de couleur pour identifier les unités allemandes (1941)

Archives privées Patricia Darcis

 

 


 

 

Modalités du trajet : Liège-43 rue Saumaise Dijon (1941 ou 1942)

Archives privées Patricia Darcis

 

 


 

Les relais à Paris et le réseau « Chesterfield »

Cette activité de renseignements requiert des voyages en zone occupée, surtout à Paris. Blanche dispose de quatre relais dans la capitale en sus du Family Hôtel, rue de Lyon. Plusieurs planques et relais ont été identifiés. Blanche et René logent souvent chez Paul Picot, militaire de carrière, ancien commandant de l’École d’Application de Gendarmerie, de Versailles, de 1931 à 1939. Picot rapporte qu’un Belge a remis à Blanche un plan complet et nouveau du réseau ferré de l’Est qu’il avait dérobé. Blanche est aussi accueillie chez Juliette Régnier, modiste, épouse de Bernard Régnier, un des hommes de confiance de Blanche à Longvic puis relais du réseau à Lyon et à Clermont-Ferrand. Son logement situé 15, rue Claude Pouillet (Paris XVIIe) sert aussi de refuge à René. Étienne Vernhes, avocat parisien, intendant militaire de réserve, ayant commandé en 1939 Alphonse Grenier-Godard, Marcel Rossignol et Bernard Régnier, a été libéré de captivité en janvier 1941 pour raison de santé. Il met aussitôt son appartement situé 166 avenue du Maine (Paris XIVe) à la disposition de Blanche. Blanche est aussi en relation avec deux autres résistants parisiens importants : Georges Bellavoine et André Perrusset. Bellavoine, héliograveur, est propriétaire d’un atelier de reproduction de plans, situé 142, rue du Faubourg Saint-Denis (Paris Xe). Il est aussi en relation avec le 2e Bureau français et belge et fournit des renseignements aux alliés. Il est immatriculé tout comme Blanche dans le groupe de Clément Boels sous le pseudo « Jean-Marie, matricule 1313 ». Son atelier est un lieu de fabrication de faux papiers. Enfi n, il favorise le passage en zone non occupée et a établi pour ce faire une liaison avec Blanche qu’il connaît par le pseudo « Tante Marie ». Perrusset est né à Marseille en 1910. Engagé volontaire en septembre 1939, il participe en tant qu’aspirant aux combats sur la Loire des cadets de Saumur en juin 1940 Directeur d’une compagnie d’assurances repliée à Avignon, il fait la connaissance à l’hôtel d’Europe en juillet 1941 de Thir Shum Shere, prince indien né en 1896 à Birganiya, alias Major Chesterfi eld. Perrusset fait des offres de service aux Alliés et explique que, grâce à son réseau d’assurances présent sur tout le territoire national, il peut obtenir des renseignements ennemis. Chesterfi eld l’inscrit dans son organisation et le met en relation avec Blanche qu’il connaît depuis 1940.

 

 

Dossier d’homologation du prince Thir Shum Shere (1950) et photo d'identité

Service historique de la Défense, Vincennes
GR 16 P 547243

 

 


 

 

Courrier du prince Thir Shum Shere (années 1940)

ADCO, 6 J 351

 

 

 

 

 

 


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