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Le document du mois de novembre - Du front à la salle d'hôpital (1914-1918)

frad021_134j_0001_041_part_00001Après trois ans de travaux de rénovation, le Carré militaire de Dijon est réinauguré le 11 novembre 2024. Le cimetière militaire de la Première Guerre mondiale à Dijon est le huitième plus important de France. Si la Bourgogne n’est pas une zone de combats, elle est une terre d’accueil de l’évacuation sanitaire : blessés, malades et mutilés transitent par ses gares de répartition, notamment la gare de Dijon Porte-Neuve (1914-1919), vers des structures hospitalières. Les nombreux décès qui y ont lieu expliquent l’importance de ce cimetière.

Suivons l’itinéraire de ces soldats depuis la zone de combat jusqu’aux salles de soin, entre les explosions d’obus et le dévouement des médecins, les gaz asphyxiants et la prévenance des infirmières, pour découvrir comment les Français, et particulièrement les Côte-d’Oriens, furent confrontés aux traumatismes de cette guerre tragique jusque dans la routine de leur vie quotidienne.

Fiche de blessé évacué

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ADCO, 12 NUM 211/8
 

Du front vers l’arrière, c’est tout une chaîne de soins, méthodique et échelonnée, qui s’organise.
Évacués de la ligne de front par les brancardiers régimentaires, les blessés sont envoyés dans des postes de premiers secours situés à 1 ou 2 kilomètres ; ils y reçoivent des soins sommaires, avant d’être conduits à des ambulances situées à 10 ou 20 km. Ils sont triés selon l’urgence de leur état, pour ensuite être envoyés soit vers les dépôts d’éclopés pour les « petits blessés » ou les centres spécialisés (notamment pour la chirurgie faciale) à 25 ou 30 km de la ligne de front, soit vers des hôpitaux d’évacuation à 100 ou 200 km. Les blessés devant subir des opérations secondaires ou des soins spécialisés sont transférés vers les hôpitaux de la zone de l’intérieur par train sanitaire.
Ces fiches de blessure sont remises aux blessés évacués, précisant la nature de la blessure (ici, une perforation du bras par éclat d’obus) et les premiers soins donnés (ici, injection de sérum antitétanique). Attachées au vêtement du blessé, elles sont le premier instrument de tri, opération indispensable à l’organisation des soins.

Billets de salle de l'hôpital mixte de Nuits-Saint-Georges

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ADCO, H DEP. 463/Q 33

L’afflux massif des blessés nécessite le recours à toutes sortes d’hôpitaux pour soigner les soldats, comme l’hôpital civil de Nuits-Saint-Georges, qui devient ainsi un « hôpital mixte », accueillant à la fois des civils et des militaires. Les « billets de salle » assignent aux patients une salle selon leur statut, civil ou militaire. Ils renseignent sur les raisons de l’entrée des blessés à l’hôpital.
Ainsi le soldat Alphonse Aubry, du 132e régiment d’Infanterie, âgé de vingt-deux ans, est entré à l’hôpital de Nuits-Saint-Georges le 17 juillet 1915 pour « commotion cérébrale par éclatement d’obus, asthénie générale et dépression physique ». Il a été blessé près de Verdun, aux Éparges, bataille tristement célèbre pour ses pilonnages d’artillerie incessants qui redessinèrent le paysage et marquèrent pour toujours les combattants. Cela explique ce traumatisme, tant physique que psychique, qui provoque chez le blessé une fatigue généralisée et une grande faiblesse.
Pierre Pochon, soldat au 3e bataillon de Chasseurs d’Afrique, transféré de l’HOE 52, a été hospitalisé en mai 1918 pour « intoxication par gaz ypérite ». Ce gaz, surnommé « gaz moutarde » pour son odeur, provoque des brûlures des yeux, de la peau et des muqueuses, même à travers les masques, et déclenche des troubles respiratoires.

Rapport du Docteur Castin, directeur-médecin en chef de l’Asile d’aliénés de la Chartreuse de Dijon (1914)

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ADCO, SM 25196
Les traumatismes causés par la guerre sont autant physiques que psychiques. La mission première des médecins était de distinguer les hommes qui pourraient retourner au combat de ceux pour qui ce retour était définitivement impossible. Les combats meurtriers et les conditions de survie extrêmement dures pour les soldats provoquent chez ces derniers des troubles, souvent qualifiés de « psychonévrose de guerre », qui ne seront qualifiés que bien plus tard de syndromes post-traumatiques.
Le Docteur Castin, directeur-médecin en chef de l’Asile d’aliénés de la Chartreuse de Dijon, suit des soldats internés à la suite de crises juste après la mobilisation. Dans ce rapport médical sur l’année 1914, adressé au préfet de la Côte-d’Or, il décrit ces cas de psychose. Les premiers sont dus à l’alcool et sont « cause de suicides, de vols de fait et même de tentatives de meurtre ». Il y a ensuite une « véritable épidémie de mélancolie anxieuse » due aux « chocs moraux, surmenage et privations » dès le début de la guerre : les malades gémissent, refusent de manger, tentent de se suicider, croient entendre des voix. Ils redoutent par-dessus tout qu’on les prenne pour des lâches et sont hantés par des images de cadavres. Chez les officiers, il y a en plus la peur obsédante d’être incapables de mener leurs hommes. C’est non sans émotion que le Docteur Castin relate l’histoire personnelle de ce sergent-major qui redevient « un enfant qui a besoin de secours et d’affectueuses caresses ».

 

Le Comité des Dames de la Croix-Rouge française

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ADCO, 92 J 2

Le Service de santé des armées se mobilise pour le soin des blessés évacués en zone intérieure, mais il n’est pas le seul. Dès les premiers jours du conflit, les sociétés d’assistance de la Croix-Rouge Française se mettent au service des autorités militaires et organisent des hôpitaux dits auxiliaires. La Croix-Rouge Française regroupe alors plusieurs associations de bénévoles, dont la Société de secours aux blessés militaires (S.S.B.M.) et l’Union des Femmes Françaises (U.F.F.). Celle-ci recrute ses bénévoles principalement chez les femmes de l’aristocratie et de la haute société. Ces grandes dames, sans véritable formation, se retrouvent alors à devoir soigner des hommes gravement blessés dans de terribles combats.
À Dijon, le Comité des Dames de l’U.F.F. est très actif dans la mise en place des hôpitaux auxiliaires, ce dont témoigne ce carnet de comptes rendus des réunions de l’association. Dès le 2 août 1914, la Croix-Rouge installe un hôpital auxiliaire dans les locaux du Grand Séminaire de Dijon. Des jeunes filles dévouées, appelées tisanières, viennent y faire des repas et les servir au réfectoire ou dans les dortoirs, auprès des blessés alités. Un dispensaire de la Croix-Rouge offre des cours à ces femmes courageuses mais sans formation. Les Petites Sœurs des Pauvres ouvrent également leur couvent pour « dorloter » les convalescents.

Les religieuses de différentes congrégations, les Filles de la Charité et les Petites Sœurs des Pauvres entre autres, se sont distinguées dans le soin des blessés. Cette carte publicitaire pour les biscuits de la manufacture Pernot, à Dijon, met en scène une sœur de la Charité reconnaissable à son habit bleu et à sa cornette, au chevet d’un blessé. En reprenant le surnom « pioupiou » désignant les jeunes fantassins, la manufacture Pernot crée un nouveau biscuit dédié aux soldats hospitalisés : « À l’ambulance, à l’hôpital, le médecin-major permet l’usage du PIOUPIOU ; c’est en effet un dessert délicieux, très léger, avec lui pas d’indigestion à craindre ; et la bonne sœur en a toujours quelques-uns pour gâter ses chers malades. ». Il n‘est certainement pas des plus savoureux, mais convient sans doute parfaitement au régime médical des pioupious ! frad021_32fi_0366_001_00002
  ADCO, 32 FI 366-1

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En 1915, le ministère de la Guerre donne aux femmes des sociétés d’assistance de la Croix-Rouge Française, reconnues d’utilité publique, l’autorisation de porter ces insignes : coiffe et voile blancs, avec une forme spécifique dessinée par le ministère, portant une croix rouge au centre du bandeau.

Le dévouement de ces femmes bénévoles au service des malades et des blessés est récompensé par des décorations, comme cette médaille de l’U.F.F.

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Hôpital Rollin, à Paris (1915)
ADCO, 134 J 1/41
Médaille de l’union des femmes françaises
ADCO, 134 J 1/45

La réquisition des établissements scolaires

Dès les premiers jours du conflit on réquisitionne des bâtiments publics pour en faire des hôpitaux complémentaires (placés sous administration militaire) ; la place vient si vite à manquer ! L’appel aux bonnes volontés et le placement des blessés peut même se faire chez les particuliers en cas de trop-plein des structures hospitalières. Les établissements scolaires sont des locaux suffisamment spacieux pour ces structures et peuvent être affectés au soin des blessés et des malades. Le préfet de la Côte-d’Or envoie dès le 3 août 1914 une circulaire aux maires des communes concernées par ces réquisitions, leur recommandant de prêter un concours actif aux autorités militaires et aux sociétés d’assistance.

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Brouillon de la circulaire du préfet aux maires de Côte-d’Or
pour l’aménagement d’hôpitaux dans les établissements scolaires (3 août 1914)
ADCO, R 2109

La transformation des écoles en hôpitaux n’est pas sans poser problème aux directeurs, proviseurs, professeurs et employés qui y ont leur logement. Ils peuvent les garder, mais souvent l’installation des structures hospitalières se fait aux dépens de leur espace de vie. L’école communale de garçons de Saint-Jean-de-Losne est mise à disposition des autorités militaires dès août 1914 pour en faire un hôpital. Son directeur écrit au préfet le 13 août pour lui annoncer qu’il lui est impossible de continuer à loger sa famille dans son appartement de l’école, réduit de plus de moitié à cause de la réquisition. Il demande donc l’autorisation de s’installer dans un autre logement que lui propose la municipalité de Saint-Jean-de-Losne.

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Lettre du directeur de l’école de Saint-Jean-de-Losne au préfet
(13 août 1914)

ADCO, R 2109

L’hôpital temporaire du lycée Carnot et son service de radiographie

Le lycée Carnot est lui aussi transformé dès août 1914 en hôpital temporaire militaire. Un service de radiographie est installé dans ses locaux. En 1914 la radiologie n’a pas vingt ans ; la Grande Guerre lui donne l’occasion de faire ses preuves et de sauver de nombreuses vies. Elle permet de localiser les éclats d’obus et aide ainsi les médecins confrontés à de nouveaux types de blessure. Le Service de santé des armées françaises a cependant du retard par rapport à l’armée allemande au début du conflit : il ne possède pas de voitures de radiologie, qui donneraient le moyen d’aller jusqu’au front et d’intervenir le plus rapidement possible pour soigner les blessés. Ces derniers doivent être évacués vers l’arrière, dans les hôpitaux intérieurs, où des services de radiographie sont mis en place.
Dans cette lettre au préfet du 18 octobre 1914, le médecin-chef de l’hôpital temporaire de Carnot est conscient de l’importance de ce service « très utile à la Chirurgie pour l’extraction des projectiles ainsi que pour la réduction des fractures ». Il demande donc au préfet la réquisition d’un local du service de l’Agriculture, à côté du lycée-hôpital, pour y installer le laboratoire de développement des photographies radiographiques, sans lequel le service de radiographie ne peut fonctionner.
À partir de 1915, Marie Curie donne un nouvel élan à la radiologie : elle fait équiper des voitures radiographiques, surnommées les « Petites Curie », qui vont jusque sur le front avec les voitures de pharmacie et de chirurgie. La physicienne s’y rend elle-même et présente aux médecins l’utilisation des rayons X pour repérer les fractures et les éclats d’obus.
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Lettre du médecin-chef de l’hôpital temporaire, installé au lycée Carnot de Dijon, au préfet (18 octobre 1914)
ADCO, R 2109

La vie quotidienne d’un blessé hospitalisé

Ces cartes ont été écrites par un certain Alphonse, soldat hospitalisé à l’Hôpital temporaire du Lycée Carnot en 1917, à la suite de graves blessures aux jambes. Il écrit à Maria, son épouse, lui raconte ses souffrances, la routine de l’hôpital et s’enquiert des nouvelles de la maison :
« Samedi le 16 juin 1917. Ma chère Maria Quest que tu veux que je te dise je suis toujours sans nouvelles d’en par ici je prends bien mon sors à gré, malgré mes souffrances je pense que je suis sauvé et que un jour je pourrai retourner vous voir mais dame ce sera long. Je pense que vous commencez au foin il fait beau temps beaucoup d’orages et de très fortes. Je suis bien soigné ici j’ai un bon major et une jolie bonne dame qui me fait mes pansements elle sait me plaindre et me faire plaisir. Le Major va me faire avoir une bouteille de champagne pour me donner la force d’endurer mes souffrances. Je t’embrasse comme je t’aime. Alphonse »

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Carte postale envoyée par Alphonse, soldat blessé soigné à Dijon, à sa femme Maria (16 juin 1917)
ADCO, 134 J 4-1

La visite des familles à leurs blessés

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Lettre d’Alphonse, soldat blessé soigné à Dijon, à sa femme Maria (14 juillet 1917)
ADCO, 134 J 4-20

Alphonse ne reste pas seul ni sans visite au cours de sa longue hospitalisation. Des facilités sont accordées aux familles pour leur permettre de visiter leurs blessés, et Alphonse peut préparer la venue de sa femme et de leur fils André :
« Samedi le 14 juillet 1917. Ma chère Maria, je viens de remplir une carte pour remettre au Major il va la signer pour te l’envoyer c’est tout ce qu’il te faut pour aller à la Mairie je te demande de venir me voir avec André tu parleras à Monsieur Secaplain il te renseignera je ne sais pas si tu paye comme le soldat ¼ de place ou demie place tout ce que je sais c’est que vous avez droit à une réduction tous les deux. Alphonse »

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Circulaire du ministre de la Guerre au général commandant la 9e région territoriale,
au sujet des réductions pour les familles désireuses de rendre visite en train à leurs blessés (7 novembre 1914)
ADCO, SM 2798

Cette lettre du ministère de la Guerre, du 7 novembre 1914, au général commandant la 8e Région territoriale (regroupant les département du Cher, de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de la Saône-et-Loire) explique ces réductions : les compagnies de chemins de fer, qui sont alors des entreprises privées, accordent des réductions pour les familles « désireuses d’aller visiter leurs parents blessés à l’ennemi ou malades en traitement pour affections contractées en campagne » ainsi que celles « allant chercher le corps d’un militaire décédé dans un hôpital des suites de sa blessure ou de sa maladie ». Ces réductions sont de 50 % pour les familles, voire 75 % pour les « familles indigentes », sur présentation d’un certificat d’indigence délivré par le maire. De même des compagnies de navigation accordent le même type de réduction.

Entre les visites, les lettres et le dévouement des infirmières, le soldat hospitalisé n’est pas délaissé.

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Le carré militaire du cimetière des Péjoces à Dijon (photo Bruno Dupuis, 2024)

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